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Aux Urgences. Moins de chimie, un gain de temps. Pour le Hors-Série 12 de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.

Dr Sandrine Weber et Dr Nazmine Weber
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Hypnose et neurosciences. Les techniques d’imagerie actuelles ont permis d’améliorer notre compréhension de la douleur. 

NAZMINE GULER 
Médecin urgentiste, attachée au service Douleur. Praticienne en hypnose et thérapies brèves. CHR Metz-Thionville, site de Mercy. Formatrice au CHTIP Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris et à l'Institut UTHyL à Nancy

SANDRINE WEBER 
Médecin praticien hospitalier urgentiste à Metz. Pratique l’hypnose depuis 10 ans. 

 La caméra à positrons, la résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (RMNF), ainsi que l’étude des potentiels évoqués en réponse à des stimuli douloureux montrent que la douleur s’accompagne de l’activation d’un réseau de structures cérébrales incluant le thalamus, le cortex somato- sensoriel primaire et secondaire, l’insula et le cortex cingulaire antérieur. Parallèlement, plusieurs études d’imagerie cérébrale fonctionnelle démontrent que des suggestions hypnotiques d’analgésie produisent une diminution significative de l’activité de ces régions (2, 3, 4, 5, 6). Ainsi, Rainville et Price ont montré que des suggestions visant spécifiquement l’intensité sensorielle de la douleur peuvent affecter l’activité dans le cortex somato-sensoriel primaire, alors que des suggestions visant à atténuer spécifiquement le désagrément de la douleur agissent spécifiquement sur le cortex cingulaire antérieur, traditionnellement associé aux émotions (7,8,9,10,11). L’hypnose est donc susceptible d’entraîner des modifications sensorielles et émotionnelles. 

Pourquoi l’hypnose aux urgences en particulier ?

Pourquoi l’hypnose aux urgences en particulier ? Premièrement, c’est un excellent moyen de communication notamment auprès d’un patient en détresse dans un contexte d’urgence ressentie. Deuxièmement, c’est un outil qui permet aux soignants de rajouter du confort personnel dans leur travail. Troisièmement, les urgences sont l’endroit idéal pour pratiquer, les résistances des patients y sont au plus bas. La croyance du patient en l’hypnose n’est pas un prérequis à son adhésion. Cette technique est efficace tant sur la douleur et le stress, que nous ayons à réaliser un geste technique ou pas (pose de voie veineuse périphérique, par exemple) (12). 

Les indications sont les suivantes : les réductions de fractures et de luxation d’articulations, les sutures, les ponctions lombaires, pleurales, veineuses... les drains thoraciques, la gestion du stress et de la douleur en toutes circonstances en pré-hospitalier (exemples : coronarien, polytraumatisé...) et dans le service, la gestion du stress de l’appelant au centre 15. 

Les contre-indications sont les suivantes : les pathologies psychiatriques décompensées, la prise de toxiques (alcool, stupéfiants, sédatifs...). 

Les urgences paraissent être un environnement hostile à première vue, un lieu rempli de colère, de douleur et d’angoisse. Les tensions y sont perma- nentes et les principales agressions et plaintes sont liées à un problème essentiel de communication voire à l’absence de communication. La communication hypnotique nous apprend à réhumaniser les soins, à améliorer la relation médecin-patient, et surtout apporte un bien-être dans un domaine très négligé, le confort du soignant. 

Il s’agit ici de rejoindre le patient là où il est et d’accepter ce qu’il nous apporte... 

Par exemple, voici la restitution d’un dialogue entre l’urgentiste et le fils d’un patient, excédé d’avoir attendu six heures que l’on s’occupe de son père. 

Médecin : « Bonjour, comment est-ce que je peux vous être utile ? 

Patient : C’est inadmissible, cela fait six heures que j’attends que mon père soit vu, il peut crever ! 

M. : Il est évident que vous êtes en colère. P. : Bien sûr que je suis en colère !
M. : Vous êtes très en colère, dites donc. P. : Oui, je suis très en colère ! 

M. : Monsieur, je ne suis pas à votre place, dans tous les cas vous avez raison d’être en colère. 

P. : Non mais, vous vous foutez de ma gueule ? 

M. : Pourquoi ? Vous avez l’impression que je me fous de votre gueule et pourtant je suis sincère. J’aurais été à votre place, cela fait longtemps que je serais parti ! Et d’ailleurs dites-moi, comment avez-vous fait pour tenir le coup ? 

P. : Ben euh, c’est parce que je m’inquiète pour mon père ! 

M. : Bravo, en tout cas c’est bien car ce n’est pas facile ni pour vous ni pour lui, etc. » 

C’est le genre d’échange avec les patients, les familles, les collègues qui nous permet de nous économiser et de savoir travailler avec la colère pour un résultat constructif. 

Il s’agit ici de rejoindre le patient là où il est et d’accepter ce qu’il nous apporte : colère, tristesse, angoisse... puis de l’utiliser comme tremplin pour provoquer le changement ; en sport, « transformer l’essai ». 

Eviter le plus possible les termes négatifs et adopter une position basse en termes de ton de la voix, de posture et de vocabulaire employé, faites parler l’humain que vous êtes, ici et maintenant. 

La réaction classique aurait été de répondre au patient sur un ton agressif et défensif en retournant l’accusation : « Monsieur, vous êtes aux urgences, il y a des priorités et donc de l’attente, le cas de votre père n’est pas une urgence vitale et ce n’est pas la peine de m’agresser, j’ai beaucoup de travail... » Au lieu de culpabiliser le patient en l’accusant, nous faisons émerger ses ressources par ce genre de phrase : « Et d’ailleurs, dites-moi comment avez- vous fait pour tenir le coup ? » Qui est en réalité un compliment... 

Dr Nazmine GULER UrgentisteL’utilisation de la communication hypnotique est essentielle au centre d’appel d’urgence... 

L’utilisation de la communication hypnotique est essentielle au centre d’appel d’urgence le 15. Cela nous permet de rassurer efficacement l’interlo- cuteur pour recueillir les informations indispensables afin d’évaluer la situation, pour qu’il nous écoute efficacement si des gestes de secours sont nécessaires, tels le massage cardiaque, la mise en PLS des patients comateux, le refroidissement d’une brûlure, la compression d’une plaie qui saigne, etc. 

Des séances d’hypnose formelle très courtes peuvent également être effectuées pour gérer les crises d’angoisse quelle que soit la gravité de la situation. 

Hypnose formelle pour accompagner des gestes douloureux anxiogènes 

Il est important d’éviter d’annoncer le déroulé des soins avec toutes les connotations négatives en relation avec la douleur, et bien au con- traire d’en parler de manière rassurante, en employant des termes bien- veillants, positifs. 

Dans un article de Pain datant de décembre 2005*, intitulé « Les mots peuvent-ils blesser ? », ElviraV. Lang, médecin au Département de radio- logie de l’hôpital de Beth Israël à Boston (MA, USA), note que la description des procédures invasives en termes de douleur ou d’expérience désagréable est susceptible de générer douleur et anxiété chez les patients. Ainsi, décrire une procédure en termes de douleur ou d’événements indésirables accroît la sensation de douleur ou d’anxiété. E. Lang conclut à la nécessité de mieux comprendre comment la manière de communiquer influence les patients. Fort de ce constat, nous décrivons comment il est possible d’adapter notre communication verbale et corporelle pour améliorer le confort moral et physique des patients confrontés à une expérience souvent négative émo- tionnellement dans le monde du soin (13). 

Préférez dire au patient : « Soyez rassuré, je vous pose une perfusion, ce ne sera pas agréable et cela va bien se passer », à la place de : « ne vous inquiétez pas, je vais piquer, ça va faire mal... » Evitez les mots à connotation négative dans l’annonce du déroulé des soins. 

Par exemple, voici le cas d’une patiente du service des urgences du CHR de Metz. Agée de 75 ans et d’origine italienne, elle est montée sur une chaise pour rempoter ses géraniums, elle est tombée en se luxant l’épaule. Nous lui proposons de la soigner en bénéficiant d’une séance d’hypnose afin de lui éviter la sur-médication, compte tenu de son âge. Avec son accord, ma collègue et moi-même l’emmenons dans un lieu sûr où elle fait une activitéfavorite.Nousfaisonsdessuggestionsdirectesd’anesthésieetde relâchement de son épaule et de son bras. La patiente les yeux fermés pleure tout le temps de la séance pendant que je lui parle et que ma collègue tire sur son bras. Une fois l’épaule réduite, la patiente prend un peu de temps pour revenir dans la salle des urgences, toujours en pleurant. Puis elle ouvre les yeux en nous disant : « Màaa, qu’est-ce que vous m’avez fait ? » (avec l’accent italien), et nous de lui demander toutes surprises : « pourquoi pleurez-vous ? avez-vous eu mal ? ». Elle répond, toute émue : « J’ai parlé au Seigneur et j’ai vu plein de belles colors. » Je lui demande alors : « Etait-ce agréable pour vous ? », et sa réponse : « bien sûr que oui ! » Mon bip SMUR sonne et ma collègue (après l’immobilisation du bras et radiographie de contrôle) la raccompagne vers son mari en salle d’attente et la patiente de dire à son mari : « Je n’oublierai jamais ces dames », pleine de reconnaissance. 

Comme le pensait Erickson, les patients sont vraiment un réservoir de ressources et nous sommes simplement là pour les aider à les faire émerger 

Un second exemple, en préhospitalier. Il est midi, le bip sonne, une douleur thoracique est annoncée par le centre 15 à Bouzonville (30 minutes de trajet), le patient âgé de 53 ans, fumeur avec des facteurs de risques cardio- vasculaires, présente une douleur thoracique intense depuis la nuit. Un électrocardiogramme est effectué et le diagnostic d’infarctus du myocarde est posé. Le traitement médicamenteux adapté pour fluidifier le sang en attendant la coronarographie est prescrit. En ce qui concerne la gestion de la douleur et du stress, je propose au patient de l’hypnose. Il me répond : « Je n’y crois pas », et je lui réponds « Monsieur, au mieux ça marche, et sinon c’est case départ.Vous n’avez rien à perdre, êtes-vous OK pour tenter l’expérience ? ». 

Avec son accord, nous débutons la séance dans le camion pompier alors que nous roulons sur les routes chaotiques de Moselle avec les alarmes sonoresduscopeetleretentissementdugyrophare.L’inductionhypno- tique se fait avec focalisation sur les bruits environnants et le ressenti des vibrations de l’ambulance. Nous travaillons sur la partie du corps qui souffre avec une technique de signaling et de catalepsie, et bien sûr une partie bien portante vient l’aider. Un ancrage est réalisé en vue de faciliter l’autohypnose en salle de coronarographie et des suggestions post-hypnotiques lui sont faites avec liberté de rester en hypnose ou bien de faire des entrées ou des sorties de transe en fonction de son confort jusqu’à la fin de la coronarographie et possibilité de répondre aux questions du personnel soignant. Ce patient est resté en hypnose tout le long de la prise en charge et jusqu’à la fin de la coronarographie. En salle de cathé- térisation, je préviens l’équipe, que je connais bien, que le patient est en hypnose et je leur demande de faire de leur mieux pour ne pas utiliser de termes négatifs quand elle s’adresse à lui. 

Et nous sommes passés d’une expérience habituellement traumatique avec des soignants qui tiennent fermement l’enfant contre son gré, à un moment de jeu pour l’enfant, ainsi elle ne constituera pas une mémoire traumatique de la douleur pour des soins futurs 

A ma grande surprise, l’interne de cardiologie me demande : « Mais je ne sais pas comment faire pour le réveiller ! » : Je lui réponds alors : « Sois rassurée, tu n’as rien à faire, le patient se gère, il sait exactement ce qu’il a à faire et sortira de sa transe de lui-même. » Le retour d’expérience est qu’il a effectivement utilisé l’autohypnose pour la gestion de son stress et de sadouleurpendantl’angioplastieavecposedestent.Adistance,ilautilisé cette unique séance pour faire son sevrage du tabac. 

Comme le pensait Erickson, les patients sont vraiment un réservoir de ressources et nous sommes simplement là pour les aider à les faire émerger. Depuis l’utilisation de l’hypnose, je peux constater que nous avons la reconnaissance des patients, chose qui est très rare aux urgences compte tenu du contexte hostile et qui bien souvent frustre les soignants. Nous permettons aux patients de vivre une expérience unique et très personnelle dans un endroit pas très accueillant et qui, par l’intermédiaire des ancrages, leur permettra de se replonger dans cet état une fois rentrés chez eux, lorsqu’ils en auront besoin, car l’apprentissage de l’autohypnose est facilité par le contexte de l’urgence ressentie. Pour ceux qui pratiquent l’hypnose en consultation, chose est de constater que l’apprentissage de l’autohypnose est bien plus long qu’en situation aiguë. 

Concernant les enfants, au-dessus de 7 ans environ, en fonction de la maturité de l’enfant, l’hypnose formelle peut être largement utilisée. En dessous de 7 ans, mieux vaut préférer la distraction en utilisant la complicité des parents. 

Par exemple, une petite fille de 4 ans, ayant chuté de sa hauteur avec une plaie du cuir chevelu de 2 cm environ, arrive apeurée, accompagnée de sa maman. L’aide-soignante, suite aux confidences de la maman, joue le rôle de la poupée Barbie qui va aider le docteur à réparer le bobo. La maman a pour mission de dessiner sur un tableau magique des figures que la petite fille doit deviner le temps des soins. Les agrafes sont posées une à une (4 au total) sans anesthésie locale en lui suggérant qu’un malin petit moustique l’a chatouillée. 

Et nous sommes passés d’une expérience habituellement traumatique avec des soignants qui tiennent fermement l’enfant contre son gré, à un moment de jeu pour l’enfant, ainsi elle ne constituera pas une mémoire traumatique de la douleur pour des soins futurs. 

Pour ceux qui utilisent le MEOPA, gaz hilarant, l’acceptation du masque se fait d’autant mieux si on l’introduit comme un jeu : « Bonjour, jeune homme, afin de réparer le bobo, il t’est permis de choisir le parfum qu’il te plaira de respirer commechezleglacier,nousavonsàdispositionchocolat,fraise,pistache,caramel... et surtout ne respire pas tout car moi aussi j’en veux un peu. » Ou de lui faire jouer le pilote de ligne avec son masque d’aviateur. 

Hypnose ou autohypnose, le bénéfice pour les soignants 

Il est indéniable que la pratique de l’hypnose aux urgences par le soignant lui apporte un confort dans un domaine très négligé qu’est son bien-être et son épanouissement aussi bien privé que professionnel. Les situations de conflits avec les patients ou les collègues ne sont plus une source d’anxiété et de stress. Lorsque nous vivons des situations dramatiques, comme le décès de patients jeunes dans des circonstances traumatiques ou bien la mort subite du nourrisson, il est important de disposer de cet outil pour nous aider à purger notre stress ou bien à en faire bénéficier nos collègues. 

Par exemple, notre collègue jeune assistante aux urgences ayant un temps partagé au SMUR de Necker à Paris, est intervenue avec les secours lors des attentats du 13 novembre 2015. Lors de la minute de silence quelques jours plus tard, dans le hall de l’hôpital, elle s’est mise à pleurer, dans sa tenue professionnelle, nous évoquant bien le traumatisme vécu et non digéré. Elle a bénéficié de séances d’hypnose qui lui ont été très bénéfiques, lui évitant d’être figée dans un stress post-traumatique. A ce jour, elle se forme à l’hypnose pour sa pratique aux urgences et pour elle-même. 

Un autre exemple : j’entends des hurlements de douleur et de terreur aux urgences derrière la porte d’une salle d’examen. J’ouvre la porte et là, vision d’horreur, tout le monde crie : un aide-soignant couché sur une patiente schizophrène en état d’agitation aiguë, attachée sur le brancard (pour l’empêcher de tomber, car elle avait réussi à défaire son lien), en train d’être mordu au ventre violemment jusqu’au sang. L’infirmière est tétanisée, j’appelle du renfort afin de maîtriser la patiente et de libérer l’aide-soignant. Ce dernier fait un malaise vagal dans les minutes qui suivent l’agression, allongé sur un brancard je lui demande : « Comment te sens- tu ? », et il me répond « très mal ! ». Je lui demande : « Veux-tu bénéficier d’une séance d’hypnose ? », il me répond un grand oui sans hésitation alors que je savais qu’il n’y croyait pas. La séance d’hypnose s’est très bien déroulée avec une adhésion totale, un soulagement immédiat de son anxiété et de sa douleur, et il a d’ailleurs refusé la proposition d’arrêt maladie et a poursuivi son travail comme si de rien n’était, à mon grand étonnement. 

Aux urgences, la communication hypnotique est utilisée tous les jours, l’hypnose formelle lorsque l’occasion se présente et l’autohypnose pour s’apaiser 

Ce même aide-soignant avait subi, malheureusement, quinze jours auparavant, une tentative d’étranglement par un patient, phénomène traumatique qu’il avait du mal à oublier, car non traité, alors que la morsure était déjà archivée dans son inconscient. 

Un dernier exemple, d’après une expérience personnelle : me retrouvant au sol après avoir chuté d’un tabouret dans ma cuisine, une douleur vive, insupportable de mon bassin et de ma jambe droite. Incapable de me relever, seule à la maison, je commence de manière très instinctive ma séance d’autohypnose. Je rentre à l’intérieur de mon corps après des exer- cices de respiration et analyse une à une chaque partie de mon corps tel un ordinateur et les mobilise progressivement et utilise la réification pour les zones douloureuses. Si mon mari était passé par là, il m’aurait cru probablement morte ou comateuse. Après 30 minutes, je suis debout et heureusement sans fracture et sans avoir utilisé aucun antalgique chimique. Mon apprentissage de cette technique me sert au quotidien pour la gestion de mon anxiété et de mes douleurs. 

Aux urgences, la communication hypnotique est utilisée tous les jours, l’hypnose formelle lorsque l’occasion se présente et l’autohypnose pour s’apaiser. 

 

 

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