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Hypnose et anesthésie dans un service de grands brûlés. Revue Hypnose et Thérapies Brèves. Florent HAMON

Hypnose et Douleur
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En 2012, je me lance par curiosité dans un Diplôme universitaire d’hypnose en anesthésie, sans trop savoir ni où, ni comment, ni quand j’allais pouvoir utiliser cette technique. Au même moment, se développe le service des grands brûlés dans l’hôpital où j’exerce. 

Beaucoup de pansements s’y font avec une sédation1 que les IADE prennent en charge. Ce fut pour moi l’occasion d’appliquer les techniques que je découvrais. L’hypnose fut bien accueillie par l’ensemble de l’équipe et devient rapidement un outil parmi d’autres. Elle permet de diminuer les quantités de produits anesthésiques utilisés et elle offre un vécu différent du soin pour les patients.

C’est également une ambiance différente dont bénéficient les soignants. Le développement de l’hypnose dans le service a été très fluide du fait de l’autonomie accordée aux IADE lors de la prise en charge des pansements pour mener l’anesthésie. Une conversion purement pharmacologique est toujours envisagée et tout ce qui est fait avec hypnose pourrait se faire sans. Voici les éléments importants de cette prise en charge ainsi que la présentation de quelques cas. 

La prise de contact avec le patient se fait juste avant le soin, les aléas du planning ne permettant pas de le rencontrer en amont. Je me présente et prends une chaise pour me mettre à la même hauteur que celle du patient alité. Cette première rencontre est un moment important. Je me présente comme l’infirmier anesthésiste qui prendra en charge le confort lors du soin. La perspective d’un rétablissement et d’un futur positif est amené en évoquant ce soin comme une étape nécessaire. Je ne présente pas toujours d’emblée ma pratique de l’hypnose. Le mot fait parfois peur ou rire. Il peut susciter des attentes magiques ou un rejet immédiat. Je leur propose un espace tranquille qui leur appartiendra, un moment pour eux, alors que les choses à faire se feront tranquillement. Ce peut être une bulle paisible, comme rentrer profondément à l’intérieur de soi. Ou un voyage au loin en laissant ici ce corps, pour que cet ici devienne lointain. C’est peut-être la première étape pour entrer dans le monde de mon interlocuteur, en s’adaptant à ses croyances. Cet accompagnement est proposé comme un outil supplémentaire à l’anesthésie. Quand la technique est acceptée, le déroulement du soin est expliqué tout en saupoudrant déjà des notions de « confort, tranquille, agréable ». Puis, rapidement, ce moment est consacré au recueil d’informations concernant les différents centres d’intérêt du patient. Je touche toujours le patient avant de le quitter pour souligner que maintenant, nous sommes une équipe. Une main à la fois ferme, assurée, douce et bienveillante est posée sur une partie neutre du corps (épaule, main ou bras). Lors de cet entretien, je suis déjà dans le rôle du roc, du pilier sur lequel le patient va pouvoir s’appuyer en toute confiance. Pour ce qui est des circonstances de la brûlure, elles ne sont pas abordées avec le patient directement, je recherche ces informations dans le dossier ou auprès de mes collègues pour ne pas faire de maladresse lors de la séance.L’entretien préalable à la séance est uniquement tourné vers les ressources du patient ou vers un futur positif. 

La prise en charge se déroule en plusieurs temps. Pour commencer, les différents produits d’anesthésie sont préparés et installés pour être à disposition immédiate. Le monitorage est légèrement déplacé de manière à garder en permanence un œil sur les paramètres hémo- dynamiques du patient. Le confort du praticien est important pour entrer dans une légère transe qui favorisera la créativité. Tout est prêt, anticipé, à portée de main pour se libérer des contraintes techniques. Une fois le cadre installé, je sors dans le sas qui sépare le service de la chambre du patient, pour revêtir la sur-blouse, le masque et le chapeau qui sont obli- gatoires à l’ouverture du pansement. L’induction hypnotique se fait quelques instants avant le début du soin. Puis l’essentiel du travail consiste à accompagner le patient dans des actions qui seront congruentes avec les stimulations du pansement. Nous modifions ainsi le contexte de ces stimulations et de fait la dimension psychoaffective de la douleur. Le soin et toutes les interventions de l’environnement doivent être intégrés. Les bruits des alarmes, des paquets de compresses qui s’ouvrent, la sensation du masque sur le visage et son odeur, les conversations diverses ou toute autre stimulation du VAKOG3. L’action sera la ligne directive guidée par les différentes stimulations extérieures. Dans cet accompagnement, de nombreuses techniques hypnotiques seront exploitées. Des suggestions d’analgésies sont amenées avec de l’eau très froide, de la neige ou autre. Le saupoudrage des notions de « confort, tranquille, agréable » est très présent. Le discours sera très dissociant pour installer au maximum cet état pendant le soin. La dissociation sera développéeschématiquementcommesuit:«Vous voyez, lesyeux voient, les images se présentent aux yeux, les images se présentent aux yeux du corps. » Chaque canal sensoriel sera exploité de la même manière. L’utilisation de métaphores est amenée par exemple au travers d’une végétation abîmée qui se développe et reprend ses droits, par un château fort qui reconstruit ses remparts, des vagues d’un océan qui viennent nettoyer la plage et ne laissent qu’un sable lisse et doux. Des personnes ressources peuvent êtres invitées, que ce soit une petite amie et son parfum, un père et sa voix enveloppante ou une licorne puissante. La projection dans le futur est un outil qui peut trouver sa place en fonction du contexte. Futur, utile à celui qui ne le perçoit pas encore et à celui qui est animé par un but. L’aspect para-verbal est également important avec, entre autres, l’exploitation du rythme. Lors de stimulations douloureuses, le mouvement au sein du récit s’accélère, le débit du discours est plus vif et l’action plus soutenue. Et un rythme plus lent avec des suggestions d’allongement du temps pendant les périodes plus confortables. Le non-verbal, par un contact sur l’épaule, pour s’accorder avec le patient est intéressant. Dans un premier temps le rejoindre dans sa respiration, dans son rythme, puis le guider vers plus de détente, de relâchement en ne variant que subtilement le contact de la main. Contact corporel qui peut être utile lors des moments moins faciles, pour dire sans mots « je suis avec vous, je vous accompagne jusqu’au bout, nous sommes une équipe ». Contact qui peut également détourner l’attention focalisée ailleurs. Un contact corporel qui peut incarner, symboliser, donner vie à une personne ressource qui apporte son soutien. Il est entendu que cet exercice nécessite une coordination et une bonne communication avec l’équipe soignante présente. En fin de soin, il est important que ce temps s’allonge au maximum alors que tout est fini pour ancrer au maximum cette sen- sation de confort. 

Je suis intervenu à plusieurs reprises auprès de Mme B. pour des pansements avec MEOPA4 et AIVOC5. Elle est atteinte d’une épidermolyse bulleuse6. Après avoir discuté avec elle, j’ai appris qu’elle aime se promener avec son chien dans la nature, dessiner et faire du cheval. Elle me raconte également des souvenirs de vacances au bord de mer. J’observe sur les murs de sa chambre des photos de sa famille, de son chien, un paysage balnéaire et des dessins de poneys. Lors de notre première séance, nous partons pour une promenade en forêt. Le bruit du vent dans les arbres est le bruissement des sur-blouses de mes collègues ; les sons des pas qui bruissent sur les brindilles et les feuilles : les sachets de compresses qui s’ouvrent. Au loin, le tintement des cloches d’une église ou de vaches qui paissent tranquillement : le son des différentes alarmes. La balade continue. Elle est ponctuée de moments agréables en absence de stimulation durant lesquels le rythme se fait plus lent. La balade s’oriente alors vers la découverte d’une clairière paisible où la luminosité est particulièrement douce, le temps d’une pause, d’un temps en suspens. Calme. Tranquille. Un rythme variable qui se joue du temps et se fait plus rapide quand des buissons, des arbustes denses avec de petites branches viennent effleurer les jambes : l’ablation des bandes et différentes couches de compresses au niveau des membres inférieurs. Au cœur de cette forêt, nous découvrons ensemble un endroit caché. Plus profondément à l’intérieur de cette forêt. A l’intérieur de cet endroit, se trouve un bassin d’eau douce rempli d’herbes «médicinales»,uneeaufraîche,particulière,bienveillante,quienveloppe et qui nettoie tranquillement. Dans cette eau douce, le corps peut profiter paisiblement des courants plus frais, se sentir différent, plus léger ou flotter quand quelques feuilles d’herbes viennent parfois effleurer doucement la surface de ce corps. Et quand le corps ressent ces sensations, l’esprit peut retrouver des souvenirs agréables de bord de mer.

Florent HAMON Hypnose DouleurMes collègues infirmiers et aides-soignants nettoient, lavent ce corps où chaque bulle laisse une plaie à vif. Quelques agrafes qui tenaient les greffes de peau sont enlevées, est-ce un poisson curieux qui vient frôler ici ou là, il paraît que dans certaines eaux chaudes et confortables, aux douces couleurs agréables, il y a des poissons multicolores de toutes les couleurs. Avec des couleurs calmes, des couleurs tranquilles, des couleurs douces, des couleurs pleines de vie. Les chirurgiens viennent prendre des photos lors des pansements pour suivre l’évolution de la cicatrisation. Ce ne sont que quelques touristes, parfois bruyants, qui figent dans leurs boîtiers le plus beau de ce paysage agréable dans cette douce luminosité. Puis vient le temps de la mobilisation pour installer le pansement sous la patiente. Mobilisation aussi délicate que de trouver une place confortable sur la plage ou d’être ballottée par des vagues sur un petit bateau gonflable. Ce bateau gonflable en plastique, qu’on a tant désiré pendant nos vacances. Etait-il jaune ou blanc avec des rayures bleu et rouge, peut-être avait-il une autre forme d’ailleurs ? Et son odeur de plastique moelleux qui accompagne le masque facial apportant l’oxygène. La séance se poursuit ainsi. 

L’outilhypnosesedoitégalementd’êtrepolymorphe.Ilasaplacedans des séances relativement structurées, comme ci-dessus, et parfois il est nécessaire de s’adapter. Une simple conversation est l’occasion d’utiliser le détournement d’attention, la confusion, la focalisation sur les parties du corps plus confortables, la narration d’activités très sensorielles (telles que préparer un tajine ou retrouver l’étreinte d’un enfant une fois ces événements dépassés), l’orientation vers les ressources et autre. Toutes ces techniques d’hypnose ainsi que celles des « thérapies brèves » trouvent leur place dans ce qui s’apparenterait à une discussion. Hypnose sans hypnose. Communication influente, transformant le vécu du soin, offrant de nouvelles perspectives. Un simple échange. Il arrive que l’hypnose vienne toute seule. En installant M.Y. qui doit être opéré suite à des brûlures par métal en fusion, tout est allé très vite. Quand il arrive au bloc opératoire, je vais vers lui et me présente simplement comme l’IADE responsable de son confort. Je procède aux différentes vérifications d’identité, d’allergies... puis je l’oriente rapidement sur ce qu’il aime faire. Avec mes collègues, j’installe le monitorage de surveillance, un tas de fils dans tous les sens. En même temps, j’apprends que M.Y. aime faire du vélo en bordure de forêt. Je me saisis de cette information et la développe en le questionnant sur le lieu de ses balades, à quel moment de la journée est-ce le plus agréable, s’il a une tenue particulière, de quelle couleur ? Quelle sera sa prochaine sortie ? 

Pendant ce temps, mes collègues se préparent pour poser la perfusion. Je lui propose alors de manière assez vive et directe de fixer un point : « Etes-vous suffisamment bien installé ? Vous seriez partant pour qu’on fasse un petit exercice tous les deux pendant que les autres font ce qu’ils ont à faire ? » A peine M.Y. m’a répondu que je lui demande de fixer un point sur le plafond. D’un ton directif avec un débit au moins aussi rapide que notre conversation précédente. Je l’accompagne dans l’accueil des bruits environnants : « est-ce que vous entendez » les alarmes du monitorage, l’ouverture des différents paquets de champs opératoires, le froissement des sur-blouses, les différentes voix ? Tout ce brouhaha environnant ne nous dérange pas. Puis rapidement je passe aux sensations kinesthésiques et j’installe une catalepsie avec des tapotements légers sur le dos de la main. Pendant ce temps, mes collègues se sont installés pour mettre en place la perfusion. Un regard échangé avec l’interne, un soupçon de confusion, de stimulation du côté opposé et la perfusion est installée. La main droite en catalepsie, M.Y. fixe toujours le plafond, le médecin anesthésiste-réanimateur fait discrètement signe aux personnes présentes de faire moins de bruit. Les yeux ouverts, je suggère à M.Y. de les fermer, mais il semble ne pas vouloir. Il est partant pour un petit exercice, il sent peut-être déjà quelque chose de particulier, mais pas question de lâcher prise. La commande est passée, l’invitation est lancée, que les paupières se ferment maintenant, plus tard ou jamais n’a aucune importance. Et nous partons en balade à vélo, avec cette odeur particulière qu’a un vélo. Le caoutchouc des pneus, le cambouis de la chaîne du vélo. Le cadre souvent en métal froid, alors que le guidon est recouvert de cette matière particulière avec une température différente, une texture diffé- rente, plus confortable. C’est agréable de poser les mains sur le guidon confortable du vélo, n’est-ce pas ? Faire du vélo, c’est comme glisser sur le bitume, être léger, libre, sensation presque enfantine. Et partir en balade, au son des roues qui semblent caresser la route, la musique du vent frais qui effleure le visage, le bruit de la chaîne qui change de pignons, mécanique bien huilée, mécanique fluide. Mécanique des fluides ? Pédaler plus facilement, plus confortablement, pour avancer tranquillement, plus loin. Et les jambes semblent faire ce qu’elles ont à faire, sans que vous en ayez conscience. Il est étonnant d’observer, alors qu’une partie de votre esprit profite de ce paysage en lisière de forêt, comme le corps sait faire ce qu’il a à faire. Et quand vous laissez ce corps faire ce qu’il a à faire tranquillement, vous laissez venir le parfum agréable de cette forêt. Je ne sais pas à quel moment de la journée ni à quelle saison vous prenez plaisir à faire cette douce balade agréable. Un silence s’est progressivement installé autour de nous. Un collègue bien intentionné a tamisé la lumière. Nous sommes sept ou huit dans le bloc avec M.Y. les yeux fixés au plafond et ma voix de plus en plus lente. La catalepsie est toujours en place, une collègue installe le masque facial délicatement pour débuter la pré-oxygénation. Je continue d’accompagner M.Y. avec un ton de plus en plus bas, un rythme plus lent calé sur sa respiration. Je suis moi-même un peu sur le vélo. Je garde un œil sur les injections des produits d’anesthésie. Je l’accompagne jusqu’à la perte de conscience complète installée par les produits d’anesthésie. Quelques fractions de secondes pour revenir personnellement ici et maintenant, c’est le temps des gestes techniques et le retour d’un autre rythme. 

La prise en charge des patients brûlés ne permet pas toujours l’utilisation de l’hypnose. C’est le cas des « grands brûlés », qui bénéficient parfois d’une sédation et de soins plus techniques, ou celui des patients souffrant de syndrome confusionnel. 

Pour les soins avec sédation et hypnose, la difficulté est de doser la part d’hypnose et la part d’anesthésie, d’assurer un confort maximum avec les justes quantités d’anesthésie nécessaires. La fenêtre thérapeutique est mince. Mais pour qui aime les métaphores, la fenêtre vaut le coup. Faut-il avoir de l’imagination ? Etre inspiré ? Ou être simplement un peu en transe pour libérer sa créativité ? Et quand cela ne suffit plus, exploiter tout ce que l’on connaît du patient ou son environnement. Le simple dessin d’un poney affiché au mur peut devenir une fenêtre ouverte vers une autre chevauchée. 

Notes 

1. Technique d’anesthésie qui amène une baisse de la vigilance et une analgésie, tout en conservant une ventilation spontanée et un léger niveau de conscience. 

2. Infirmier Anesthésiste Diplômé d’Etat.
3. Sensorialités Visuelle Auditive Kinesthésique Olfactive Gustative.
4. Mélanges Equimolaires d’Oxygène et de Protoxyde d’Azote qui constitue un gaz anesthésique aux propriétés sédatives et analgésiques. 

5. Anesthésie Intraveineuse à Objectif de Concentration. Cette technique permet d’utiliser finement les produits d’anesthésie en n’administrant que la juste quantité nécessaire. Elle peut s’utiliser en anesthésie générale (absence de conscience et de ventilation spontanée) ou en sédation (baisse de la vigilance avec maintien d’une ventilation spontanée).

6. Maladie génétique qui se caractérise par une lésion de la peau sous forme de bulles ou de vésicules suite à une sollicitation mécanique de l’épiderme. 

Florent Hamon Hypnotherapeute ParisFlorent HAMON

DU d'Hypnose Médicale

Formateur en Hypnose Médicale au CHTIPCollège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de Paris.

Formateur en Hypnose Médicale au sein de l'AP-HP (Hôpital Cochin) 

Formateur en Hypnoanalgésie au sein de l'Institut In-Dolore à Paris

Formateur en Hypnose Médicale chez HypnotimInstitut de Formation en Hypnose et Thérapies Brèves à Marseille

 

Cabinet d'Hypnose, EMDR - IMO et Thérapies Brèves de Paris 11
41, rue Oberkampf
75011 Paris

 

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