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L'Hypersuggestibilité au service de l'Hyposuggestibilité.

Dr Dominique MEGGLE
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Dr Dominique MEGGLÉ.
Il est un préjugé courant dans l’opinion publique et même une croyance torpide persistante chez les praticiens de l’hypnose que celle-ci rend le sujet plus malléable aux suggestions, ce qui est résumé par l’adjectif « hypersuggestible ».

Bien des ericksoniens pensent que s’ils hypnotisent quelqu’un, c’est pour mieux lui faire accepter les suggestions qui lui sont utiles et qu’il ne pourrait pas entendre autrement.

Dans les esprits, rien n’a vraiment changé depuis la fin du XIXe siècle quand les chercheurs de l’Ecole de Nancy définissaient l’hypnose comme « un état de suggestibilité imposée ». D’où la récurrence de la question épineuse de l’influence en hypnose oscillant entre les réponses de Watzlawick (« on ne peut pas ne pas influencer »), de Rossi (nous n’influençons pas, c’est la personne qui active ses potentiels latents) et de Roustang (l’hypnotiste se pose là devant le sujet et il attend sans attendre). C’est ce malaise qui a conduit à l’usage presque unique des suggestions indirectes et des métaphores, le praticien se convainquant ainsi qu’il n’influence pas vraiment. Il se rassure ainsi mais perd tout naturel, toute spontanéité dans sa communication. Il n’ose plus dire ce qu’il a à dire ; il n’ose plus être direct.

... Une puissante IRM mentale dans le tube ...

Voilà pourquoi tant de stagiaires formés à l’hypnose ericksonienne en abandonnent assez vite la pratique, malgré quelques succès initiaux. Interrogez-les, ils vous répondront : « Je ne savais pas quoi dire au patient. » Il faut donc délier les langues.

Dr Dominique MEGGLEL’HYPOSUGGESTIBILITÉ HYPNOTIQUE

La transe est un état de disponibilité à répondre au thérapeute, de coopération intense avec celui-ci (1). Les paramètres extérieurs non pertinents sont neutralisés au profit de la seule chose qui compte, l’expérience d’échange en cours. L’attention du sujet est puissamment renforcée et focalisée sur celle-ci, comme il n’est pas possible dans l’état habituel de conscience où elle est labile, dispersée et vite distraite. C’est alors comme si le sujet avait allumé une puissante IRM mentale dans le tube de laquelle il fait passer les idées émises par le thérapeute pour les examiner finement. Résumons : immensément attentif, le sujet s’ouvre totalement au thérapeute, absorbe complètement les idées de celuici dans son esprit inconscient, ce qui lui permet de les travailler : il les accepte comme bonnes pour lui en totalité ou en partie, les transforme en quelque chose de mieux pour lui, ou les rejette totalement ou en partie. Dans ce dernier cas, il n’est pas rare qu’il sorte de transe. Quelle est cette attitude ? C’est celle de l’intelligence. On dit d’une personne intelligente qu’elle a l’esprit ouvert. Une personne intelligente est attentive. On ne dit jamais d’une personne ouverte et attentive, donc intelligente, qu’elle est « hypersuggestible ». Il n’y a qu’en hypnose qu’on a cette prétention. A mon premier cours de philosophie de terminale, notre professeur nous avait enseigné une méthode : « Quand vous devez étudier le texte d’un auteur que vous n’aimez pas, faites-vous en un ami, ouvrez-vous complètement à lui ; cela obtenu, lisez-le avec attention, trouvez tout ce qu’il a de bon ; lisez le une deuxième fois, et alors seulement vous pourrez le critiquer de façon féconde. » L’hypnotisé est attentif, a l’esprit ouvert, n’a plus de préjugés et examine sérieusement les idées proposées. Il est plus intelligent qu’à son état habituel de conscience. Il n’est pas « hypersuggestible ».

...En hypnose, on fait du sujet un interlocuteur intelligent pour un échange enrichissant...

D’ailleurs, l’adjectif et le mot « hypersuggestibilité » sonnent comme une insulte. En hypnose, on ne fait pas du sujet une petite chose malléable, un débile mental, mais un interlocuteur intelligent pour un échange enrichissant. Ce n’est sûrement pas en hypnose qu’on peut faire « gober » n’importe quoi à quelqu’un. Insistons. Le sujet en transe est hyposuggestible parce que son attention est renforcée, et plus la transe s’approfondit, plus l’hyposuggestibilité augmente parce que l’attention se renforce encore plus.

LES ÉTATS D’HYPERSUGGESTIBILITÉ

La question que je viens de traiter n’est pas accessoire car il y a bien des situations de l’existence où nous pouvons « gober » n’importe quoi à notre insu. Alors, nous devenons hypersuggestibles et sommes en danger. Dans un but d’hygiène mentale, il est indispensable de les repérer. Ce sont toutes les fois où notre attention est diminuée, dispersée, voire explosée. Alors, nous devenons vulnérables parce que moins intelligents.

1. Attention diminuée

L’attention est diminuée dans l’asthénie. Une simple fatigue physique, la fièvre d’une grippe, nous rendent hypersuggestibles, mais aussi l’asthénie purement psychique. Celle-ci peut être transitoire et réactionnelle (liée par exemple à des efforts mentaux prolongés) ou constitutionnelle (la psychasthénie de Pierre Janet) : alors, une image mentale ou vue à la télévision, une réflexion faite à soimême ou par un tiers en passant s’enfonce profondément en nous sans critique comme une suggestion toxique et commence à vivre de sa vie propre en nous. C’est ainsi que peuvent s’implanter des névroses. On lit, on voit, on entend parler d’un crash d’avion, et quelque temps plus tard, sans forcément avoir conscience du rapport avec ce qu’on a lu, vu ou entendu puisqu’on est fatigué, on n’arrive plus à prendre l’avion. L’obsessionnel vérifie vingt fois si la porte est bien fermée parce son attention est défaillante du fait de son asthénie mentale. Il n’arrive pas à se convaincre qu’elle l’est. Alors, tous les soirs, il se suggère qu’elle ne l’est peut-être pas.

2. Attention dispersée

- Disperser l’attention des gens pour les rendre hypersuggestibles est une des principales techniques de la propagande de tous les temps. Les chaînes de télévision d’information continue diffusent simultanément trois ou quatre messages différents : une conversation avec le journal iste pendant que des images passent en boucle dans une autre partie de l’écran, une information écrite en bas de l’écran sans aucun rapport, voire une autre différente encore plus bas.

...La radio en voiture, un outil de manipulation efficace...

Et les messages sont impulsés à un rythme si rapide, ils sont si divers et répétitifs que le spectateur n’a pas le temps de les analyser : il ne peut pas faire attention à tout. Comme on dit en Provence, il est « entourné ». La radio en voiture, voilà un outil de manipulation efficace ! Elle vous tient compagnie, vous entendez ses messages rapides, divers et répétitifs pendant que vous faites at tention à la circulation, que vous pensez à la baguette à acheter en rentrant à la maison ce soir, au patron à qui vous allez remettre votre rapport tout à l’heure, aux dents du bébé qui vous a empêché de dormir. Ajoutez à cela le choix des sujets sur lesquels la chaîne insiste et ceux qu’elle passe sous silence, et vous saurez comment modeler l’opinion publique. Ne riez pas : c’est vous l’opinion publique, c’est vous le modelé, c’est vous le manipulé. Vous « gobez » tout. Vous êtes l’idiot de l’histoire.

- L’anxiété disperse l’attention – c’est dans sa définition –, donc rend hypersuggestible, c’est-à-dire crédule et bête dans tout le domaine où elle s’étend, et ce d’autant plus que la situation est aiguë et urgente. Elle peut être individuelle, transitoire et réactionnelle (douleur, maladie physique, événements de vie) ou constitutionnelle (le « tempérament nerveux » des Anciens, le neuroticisme des comportementalistes). Les « nerveux » constitutionnels portent le fardeau de l’hypersuggestibilité toute leur vie, mais à des degrés variés et plus ou moins selon les époques, les anxieux réactionnels seulement pendant la crise. La crise, ce peut être une douleur inconnue qui surgit et pousse à consulter rapidement, ce peut être l’annonce d’un cancer et l’incertitude sur la pénibilité des soins et surtout le pronostic. Alors, la parole de l’honnête médecin comme celle du gourou ou du charlatan est bue avec avidité.

Mais l’anxiété peut être collective, produisant une hypersuggestibilité collective, rendant populations et gouvernements bêtes, car plus personne « ne sait où donner de la tête », comme nous l’avons expérimenté dans l’épidémie de Covid-19. On voit aujourd’hui des gens porter des masques seuls dans leur voiture ou au fond d’une forêt. C’est le résultat de l’hypersuggestibilité anxieuse : « On m’a dit de le faire, alors je le fais. »

... Plus il est intelligent, plus il est à risque de confusion...

Les articles scientifiques sur le traitement de cette infection ne sont même plus analysés rationnellement par les spécialistes devenus anxieux, mais « balancés » par eux dans les médias impulsivement comme autant de suggestions urgentes et impératives à prendre ou ne pas prendre tel ou tel traitement. Et l’on est ainsi arrivé à la catastrophe du « Lancetgate », un article bidonné construit sur des « big data » mensongers, publié par le journal médical le plus sérieux du monde, devenu ainsi le moins sérieux du monde car rendu hypersuggestible par l’anxiété, et conduisant des gouvernements également rendus hypersuggestibles par l’anxiété à interdire immédiatement l’hydroxychloroquine à la population (2).

 

3. Attention explosée

Il y a pire. L’attention peut être explosée dans la confusion mentale. La confusion est un état provoqué par la perte brutale des repères conscients du sujet, voire même des repères spatio-temporels. Cette perte obscurcit le champ de conscience de l’individu. Il est dans le noir, il n’a plus aucun sens à ce qu’il vit et cherche passionnément la lumière pour se sortir de là et reprendre sa vie en main. « Par pitié, donnez-moi du sens, expliquez-moi pourquoi ! Pourquoi suis-je ainsi ? », hurle-til silencieusement.

Le plus intelligent des hommes devient ainsi hypersuggestible. Et même, plus il est intelligent, plus il est à risque de confusion et d’hypersuggestibilité quand il est privé de sens. Il avait l’habitude de se reposer sur son intelligence, et là elle ne répond plus. Ainsi dans les grandes épreuves affectives. Le deuil d’une femme très chérie ou la perte violente de ce en quoi il fondait tout le plonge dans la confusion. Il est perdu. Arrive le gourou qui lui dit : « Si tu es comme ça, c’est parce que… » « Parce que la fin de la planète Terre est proche, que la planète Sirius nous attend et qu’il faut organiser le transfert des élus vers elle. Tu en es. Tu as été choisi. » Il le croit, il prend tout et respire. Et il y va, et un beau soir de juin dans la forêt amazonienne se suicide avec une centaine d’autres candidats au transfert vers Sirius. Ainsi sont partis dans les sectes des gens très intelligents, chefs d’orchestre, médecins, tennismen, avocats, architectes, acteurs de cinéma. Ainsi est mort Steve Jobs, le fondateur d’Apple. Il avait un cancer du pancréas. Son cancer était une forme rare, facilement soignable par la médecine, alors que d’habitude le pronostic de ce type de cancer est très mauvais. Un gourou lui a dit qu’il allait le guérir avec des plantes. Il l’a cru, il est mort.

En hypnose, nous manions la confusion. Est-elle de même nature ? Oui. Il nous arrive de, délibérément, obscurcir le champ de conscience de nos patients par des absurdités logiques qui saturent leur esprit conscient. Nous les privons de leurs repères intellectuels jusqu’à ce que la situation n’ait plus de sens pour eux et qu’ils désirent passionnément en retrouver un. Ils deviennent hypersuggestibles et nous leur disons alors : « Si vous êtes comme ça, c’est parce que… » « Parce que vous entrez en transe hypnotique », ils boivent alors la suggestion et entrent en hypnose. Leur esprit con - scient a décroché et nous avons à faire avec leur esprit inconscient. Une fois en transe, ils sont devenus attentifs et ouverts, hyposuggestibles. Commence alors une discussion intelligente et fructueuse, débarrassée des parasitages conscients. Nous avons produit de l’hypersuggestibilité pour pouvoir arriver à de l’hyposuggestibilité, pour parvenir à ce que, enfin, le sujet découvre, pour de bon, ce qu’il veut faire pour lui-même. C’est là ce qui justifie notre usage de la confusion en thérapie (3).

 

CONCLUSION

Au total, à chaque fois que son attention est renforcée, la personne humaine est hyposuggestible. L’hypnose en est la démonstration. A chaque fois que son attention est diminuée, dispersée ou explosée, la personne humaine est hypersuggestible. L’asthénie, la propagande, l’anxiété et la confusion en sont la démonstration.

Notes

1. L’Hypnose profonde et son induction, L’Intégrale des articles de Milton H. Erickson sur l’Hypnose, Tome 1, Satas, Bruxelles, 1999, pp. 177-213.

2. Il y a bien d’autres grilles de lecture de ce phénomène. Celle-ci n’en est qu’une parmi les autres. Voici les références de l’article à l’origine du scandale ; sur le site du Lancet, il est désormais présenté avec la mention « Retracted » : Mehra M.R., Desai S.S., Ruschitzka F., Patel A.N., « Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of Covid- 19: a multinational registry analysis », Lancet, 2020 (published online may 22), 10.1016/S0140- 6736(20)31180-6

3. Pour une étude plus fouillée, voir Megglé D., « La confusion, pathologique et thérapeutique », Douze conférences, Satas, Bruxelles, 2011, pp. 101-117.  


Laurent GROSS Guillaume BELOURIEZ Philippe AÏM Dominique MEGGLEDr DOMINIQUE MEGGLÉ Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées.
Membre titulaire de la Société médico-psychologique, cofondateur de la CFHTB, président d’honneur des Instituts Milton H. Erickson de Normandie et de Méditerranée - Toulon-Marseille. A donné une Masterclass de 2 jours au CHTIP à Paris sur l'hypnose profonde et l'hypnose directive 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laurent GROSS (CHTIP, In-Dolore), Dr Guillaume BELOURIEZ (Responsable du DU Psychothérapie Intégrative Strasbourg), Dr Philippe AÏM (CHTIP, UTHyL), Dr Dominique MEGGLE 


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Cinq scripts créatifs détaillés


Edito : Julien Betbèze

L’hypersuggestibilité. Au service de l’hyposuggestibilité. Dominique Megglé

Script créatif détaillé : 20 minutes pour se libérer du tabac. Hypnose en médecine générale. Françoise Barthès

Script créatif détaillé : Du trauma à la résilience. Par la thérapie du lien et des mondes relationnels. Stéphane Roy

Script créatif détaillé : La sphère relationnelle. Travailler la distance en hypnose. Corinne Paillette

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