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Les vides en 3 petits tableaux. Dr Dominique MEGGLE
Il est bien difficile de penser le vide puisqu’il est vide.
Revue Hypnose et Thérapies Brèves 57
Si l’on dit, comme le dictionnaire, que le vide est ce qui ne contient aucune matière, on n’a pas résolu la question puisque la matière n’existe pas en soi : elle est en puissance d’être ; elle attend une forme qui la fera passer à l’acte. Il faudrait plutôt dire que le vide est ce qui ne contient aucune forme, c’est-à-dire aucun être, aucune chose, ce qui est bien difficile ! Quand ensuite le concept de vide est appliqué à la psychologie et à la psychopathologie, tout se complique encore, puisque là on parle de « vide psychique » et que le psychisme n’existe pas (personne n’a jamais pu prouver son existence).
Le « vide psychique » correspond donc au vide dans quelque chose qui n’existe pas, ce qui démontre qu’une approche théorique n’aboutit qu’à de la confusion. Si, en revanche, abandonnant l’algébrose théorique, nous reposons la question du vide à partir de l’expérience vécue, elle se simplifie et nous obtenons des réponses satisfaisantes. L’expérience du vide intérieur est en effet universelle : tous les êtres humains la font, de façon intermittente ou continue, en tout cas plusieurs fois et de manières différentes dans leur vie, si bien qu’il vaut mieux parler des vides et non du vide, et alors tenter d’en décrire modestement trois.
LE VIDE EXISTENTIEL
Le plus courant de nos jours est le vide existentiel, propre à l’homme post-moderne et décrit par Viktor Frankl (1905- 1997). Cet homme n’a pas de sens à sa vie, ne sait pas sur quoi la fonder. Il est vide de sens. Son esprit est vide. Il ne sait pas dans quelle direction appliquer sa volonté. Les questions du Bien et du Mal ont déserté son esprit. Il n’a pas de profondeur, pas d’élévation. Il ne vit pas en trois dimensions mais en deux. Il est plat. Sa vie est une BD. Mais son esprit est pourtant bien là, il a faim, il désespère : il est en proie à ce que Frankl appelle une « dépression noôgène » qui peut l’amener au suicide. Il a ses tentatives de solutions, lesquelles pérennisent le problème : il remplace l’être par l’avoir, la joie qu’il n’a pas par le plaisir, le bonheur qu’il n’a pas par la jouissance immédiate. Il tente de combler son vide par la consommation qui lui donne d’éphémères plaisirs après lesquels il ressent encore plus la froide tristesse de son vide intérieur.
Les quelques moments d’attente frémissante de l’objet de son désir lui fournissent un ersatz mensonger où il se perçoit un peu exister : il a des « émotions », mais une fois qu’il a joui, il est seul et il se dit « et après ? » Ni le sexe, ni Internet, ni le sport, ni le dernier jouet technologique, ni la nourriture (baffrée ou délicatement goûtée), ni l’alcool, ni le cannabis, ni aucune drogue ne combleront le vide de son âme. Alors, autant pour fuir le dégoût d’après la jouissance que pour retrouver les moments d’attente frémissante d’avant, il fuit en avant et consomme de plus en plus frénétiquement, jusqu’à se perdre totalement. A la fin de sa vie de BD, à sa mort, on le brûle et c’est comme s’il n’avait jamais vécu. Il est parti en fumée.
Pour retrouver le chemin du bonheur et ainsi éviter la dépression noôgène, c’est son esprit que l’homme post-moderne doit remplir, nous dit Frankl. Comment le remplir ? En donnant du sens à son existence. Il doit se poser les questions spécifiquement humaines et qu’aucun autre primate ne se pose parce que spirituelles : pourquoi je vis ? Comment est-ce que je comprends cette vie, de la naissance à la mort et ce qu’il y a ou non après ? Qu’est-ce que le Bien, le Mal, l’Amour, Dieu ?
Des réponses que je me donnerai à ces questions philosophiques et religieuses découleront le sens que je donnerai à ma vie, la direction que je lui impulserai, la forme de mon existence autant que son but. J’aurai ainsi formé ma conscience morale qui, désormais, pourra me servir de guide dans les décisions à prendre dans le reste de ma vie. Cela signifie que je serai un être libre, exerçant tous les jours ma liberté grâce à ma volonté. Cela pourra me conduire à des décisions parfois difficiles, à contre-courant, voire héroïques qui feront souffrir ma sensibilité ou m’amèneront au sacrifice de ma vie. Jusque dans ces circonstances, j’aurai la paix et la joie intérieures. En tout cas, je ne serai plus un gibier de dictature comme quand je vivais en deux dimensions. Je vivrai épanoui, en trois dimensions, vraiment humain, chacune de mes conduites quotidiennes avec moi et les autres ayant un sens en profondeur que j’aurai moi-même déterminé librement en suivant ma conscience. Mon esprit sera comblé et je serai heureux.
Dans la rue, un homme marche très pressé. Il se rend à un rendez-vous capital pour sa carrière. Il ne doit pas être en retard, faute de quoi il risque de passer à côté de l’occasion de sa vie. A un feu rouge, une vieille dame aveugle et impotente n’arrive pas à traverser la chaussée. Il la voit. Personne d’autre que lui dans les environs. L’aidera-t-il ? S’il le fait, il sera à coup sûr en retard, pourra probablement dire adieu à son nouveau travail mais il aura fait le bien et aura au moins la joie d’une conscience en paix. S’il ne le fait pas, il sera à l’heure, obtiendra son nouveau travail mais sa conscience le mordra d’un sourd remords. Je cite souvent le cas de cette femme de 35 ans déprimée. Depuis dix ans, elle n’arrive jamais à finir ce qu’elle a commencé, tant en amour que dans le travail. Je lui demande doucement si, par hasard, un jour, elle n’a pas fait quelque chose de vraiment mal, une « saloperie ». Après une brève dénégation, elle fond en larmes et raconte son histoire. Il y a dix ans, elle était élève infirmière. Le jour de l’évaluation, elle doit piquer un malade. Entre la salle de soins et la chambre, elle se rend compte qu’elle n’a pas mis le bon produit dans la seringue. Pour ne pas avoir de mauvaise note, elle pique quand même le patient avec le mauvais médicament. Le pire est que, quinze jours plus tard, elle recommence. Depuis, sa conscience la poursuit. Elle est seule à savoir qu’elle n’est pas une femme bien, seule à savoir qu’on ne peut pas lui faire confiance. Depuis, elle ne peut rien finir de ce qu’elle commence. L’aveu a été thérapeutique, aidé d’une réparation symbolique.
« La Reine des violettes africaines » est un cas célèbre d’Erickson. Une vieille dame déprimée vit recluse dans l’incurie. En lui rendant visite, Erickson remarque quelques plants de violettes africaines sur le rebord de la fenêtre. Ils sont très bien soignés, ce qui contraste avec le désordre et la saleté de tout le reste de la maison. La dame s’anime légèrement quand il lui parle de ses fleurs. La seule sortie de cette femme est pour la paroisse le dimanche. Peu à peu, il lui suggère d’offrir de ses violettes à l’occasion des baptêmes, mariages et enterrements à l’église. Elle en a offert tellement qu’elle est devenue une célébrité locale surnommée « la Reine des violettes africaines ». Elle a retrouvé le moral et s’est resocialisée parce qu’elle a trouvé du sens à sa vie : elle rend service, elle est utile aux autres.
LE VIDE DE SOLUTIONS
Il y a un autre vide que le vide existentiel, et celui-là nous le connaissons tous très bien pour l’éprouver souvent. Il nous arrive de nous retrouver dans des situations qui nous paraissent inextricables, des culs-de sac. Il peut s’agir d’un problème avec un patient en thérapie, de difficultés avec un enfant, un conjoint, un supérieur, un subalterne ou un artisan, d’une catastrophe domestique, petite ou grande, d’un symptôme névrotique ou addictif personnel. Nous disons alors que nous sommes au fond du trou, au bout du rouleau, dans le noir, que nous n’avançons pas, que nous n’avons rien à quoi nous raccrocher. Nous sommes vides de solutions. Les patients, quand ils viennent nous consulter, sont le plus souvent dans la même situation. Ils ont tout essayé et rien n’a marché. Ils viennent nous voir parce que, précisément, ils sont vides de solutions. C’est vraiment le moment de se rappeler que c’est seulement notre esprit conscient qui est vide de solutions. Nous sommes vides de recettes connues de notre esprit conscient pour avancer. Au lieu de penser : « je suis en échec », pensons : « je suis en échec conscient ». Au lieu de penser : « je n’y arrive pas », pensons : « je n’y arrive pas consciemment ». Et adressons-nous à notre esprit inconscient. C’est son heure et le succès est garanti. La sensation angoissante de vide de solutions l’indique très exactement. Mon professeur de mathématiques du lycée nous disait qu’un problème n’est insoluble que parce qu’il est mal posé ou qu’il manque des données. L’esprit inconscient le reposera mieux, trouvera les données manquantes et fera jaillir la solution sous forme d’une intuition ou d’un changement spontané de sentiments ou de comportement, qui arrivera à notre esprit conscient comme une bonne surprise dans les heures, jours ou semaines suivantes, parfois pendant la séance. La solution au vide con - scient de solutions est d’arrêter les efforts conscients de solutions et de tout confier à l’inconscient.
Voilà pourquoi l’hypnose est la voie royale de résolution des difficultés insolubles pour le conscient, hétéro-hypnose avec nos patients, autohypnose pour nous. L’hypnose est d’autant plus fructueuse que le problème est urgent et qu’on ne peut éviter de le traiter, dans ces situations qu’Erickson qualifie d’« autoritaires », car l’urgence et l’inéluctabilité chauffent la motivation à blanc. Elles donnent des ailes. Euripide dit quelque part que « le besoin est maître d’intelligence, même chez le balourd ». Alors, asseyons-nous, avouons-nous généreusement vaincu, disons à notre inconscient que nous lui confions l’affaire, entrons en hypnose et ne nous occupons plus de rien. Ainsi, nous devenons créatifs. Et ce que nous faisons avec nous-mêmes, faisons-le avec nos patients : ils deviendront créatifs. D’ailleurs, à ce propos, dans le travail avec les patients, je peux témoigner qu’à chaque fois que je me suis senti vide de solutions pour eux, en panne de recettes et totalement démuni, à chaque fois que je me suis retrouvé comme un pauvre devant eux, leurs thérapies ont été extraordinairement efficaces. Elles m’ont à chaque fois stupéfié, ou plutôt elles ont stupéfié….
DOMINIQUE MEGGLÉ Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées. Membre titulaire de la Société médico-psychologique, cofondateur de la CFHTB, président d’honneur des Instituts Milton H. Erickson de Normandie et de Méditerranée - Toulon-Marseille. A donné une Masterclass de 2 jours au CHTIP à Paris sur l'hypnose profonde et l'hypnose directive
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N°57 Mai/Juin/Juillet 2020
- ÉDITORIAL : « Trouver une certaine sacralité de l’autre, humain et non-humain. » Aurélien Barrau. S. COHEN
- LA « BROSSOSPHÈRE ». G. BROSSEAU et A. FORTIN
- THÉRAPIES BRÈVES. W. MARTINEAU
- QI GONG ET HYPNOSE M. SÉJOURNÉ
- MÉDITATION ET HYPNOSE O. DE PALÉZIEUX
ESPACE : DOULEUR DOUCEUR
- Éditorial. H. BENSOUSSAN
- Adolescent mutique. S. COPEAU
- La lévitation en douleur chronique. A. BOUZINAC
DOSSIER : SE SENTIR VIDE
- Éditorial. D. VERGRIETE
- Vide, phobie et transe ordinaire J. BETBÈZE
- Creuser le vide S. LE PELLETIER-BEAUFOND
- Les vides. D. MEGGLÉ
- Vide et addictions. D. VERGRIETE
- QUI PROQUO, MALENTENDU ET. . .« Tout a une fin ! » S. COLOMBO, MUHUC
- Couvade en pays Dendi. C. LELOUTRE-GUIBERT
- Les Grands Entretiens: Elvira Lang. G. FITOUSSI
Livres en Bouche: H. BENSOUSSAN, C. GUILLOUX, L. BILLY, S. COHEN
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