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Vide, phobie et transe ordinaire. Dr Julien BETBEZE

Dr Julien BETBEZE
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La question du vide est au centre de nombreuses difficultés.
Revue Hypnose et Thérapies Brèves 57

Difficultés que rencontrent les personnes qui viennent nous consulter pour sortir des impasses dans lesquelles elles sont prises. Pour le travail en hypnose thérapeutique, cette question renvoie à la compréhension du processus dissociatif, soubassement des désordres psychopathologiques qui enferment le sujet dans un monde structuré par l’angoisse. La notion de dissociation employée couramment pour rendre compte du processus hypnotique amène souvent des confusions du fait d’un manque de précision conceptuelle. Nous nous proposons, dans un premier temps, de reprendre cette notion afin d’en clarifier l’emploi dans la thérapie ericksonienne. Le processus normatif est, pour Erickson, de nature relationnelle.

Lorsqu’il indique que la vérité de la transe est la transe ordinaire, cela signifie qu’elle doit être comprise comme un phénomène relationnel. Or, un des exemples fréquemment donnés pour illustrer le caractère ordinaire de la transe est celui de la conduite automobile : pendant que le sujet conduit sur un parcours connu ou lors de moments d’ennui au volant, il se met à « rêvasser », à penser à ses activités récentes, à un sujet qui le préoccupe ou l’intéresse. Pendant que son corps conduit de manière automatique, son esprit vagabonde en lien avec d’autres expériences de vie. Etre en même temps là (dans la voiture) et ailleurs (dans ses pensées) est ainsi la caractéristique des phases de transes quotidiennes et naturelles. Cette expérience de transe ordinaire est souvent décrite comme étant l’expression du processus de dissociation naturel.

Cependant, comme le rappelle avec pertinence Philippe Aïm (1), l’emploi du concept de dissociation dans cette occurrence amène des confusions entre la transe naturelle et la transe pathologique. Il serait préférable d’appeler désassociationréassociation ce processus actif de la transe naturelle, qui correspond à un moment transitoire vivant dans lequel le sujet parvient à se connecter à ses ressources pour enrichir sa vie. Nous devrions ainsi réserver le terme de dissociation aux expériences dans lesquelles le sujet a perdu la capacité de se réassocier.

A ce moment-là, n’ayant pas accès aux ressources dont il a besoin, il reste dans un « ailleurs » vide de sens, il n’arrive plus à être présent à lui-même et aux autres. Nous pouvons parler alors de blocage dissociatif qui empêche le sujet de se sentir à sa place et d’habiter son corps. Nous rentrons à ce moment-là dans le monde de la psychopathologie, producteur de vide non relationnel. Le sujet est de moins en moins en relation avec le vide, jusqu’à être dans le vide. Ce vide l’attire, il est sans limite, impossible à combler, il a pris le pouvoir sur son identité, le sujet s’est dissout, il est remplacé par un symptôme : il est phobique (peur du vide), il est alcoolique (sensation de vide intérieur), il est boulimique (vide à combler), il est fibromyalgique (vide relationnel), le symptôme est devenu sa nouvelle identité.

Ainsi, bien comprendre le travail avec le vide en thérapie et son rôle dans la construction identitaire symptomatique, implique de comprendre le défaut de la dimension relationnelle de la transe ordinaire. Ceci est d’autant plus important que, comme nous l’avons souligné au début de cet article, l’exemple de la désassociation dans la conduite automobile ne laisse pas percevoir la dimension relationnelle de cette transe. Or, la condition de possibilité du processus désassociation-réassociation, caractéristique de la transe ordinaire, implique que la réassociation, qui est de nature relationnelle, soit présente comme moteur de la désassociation. Ce processus de réassociation est caractéristique de ce que Erickson appelle une ressource, il s’agit d’une expérience de vie dans laquelle le sujet se sent en sécurité relationnelle et habite son corps. Et c’est seulement lorsque le sujet se sent en sécurité qu’il peut habiter son corps, s’abandonner à l’inconnu, s’ouvrir à l’autre et se construire à partir de cette relation.

Lorsque Erickson décrit la transe ordinaire, il décrit avant tout un processus relationnel vivant. Ce sont ainsi les processus d’accordage qui sont la condition de possibilité de la transe ordinaire. Etre, c’est être en relation et c’est cet apprentissage, être avec l’autre pour être avec soi-même, devenir soi-même pour être avec l’autre, qui est au centre de la construction du lien d’attachement qui nous protège des angoisses du vide. La construction d’une relation sécure entre la mère et l’enfant (et/ou entre le père et l’enfant) passe par la capacité de chacun à se connecter au monde de l’autre. C’est parce que la mère a la capacité de transe ordinaire (être en relation à la fois avec le monde de l’enfant, avec son propre monde et avec le monde du père), que l’enfant va pouvoir, par mimétisme (neurones miroirs), rentrer dans la logique de la transe ordinaire et donc interagir dans la relation avec sa mère ; ainsi, même lorsqu’elle s’absente, l’enfant va acquérir la capacité naturelle de se désassocier pour rester en contact avec la relation maternelle, relation elle-même porteuse d’autres relations.

C’est à partir de ce type d’expériences relationnelles répétées, dans lesquelles l’enfant reste en contact avec luimême lorsque l’autre est physiquement absent, qu’il va progressivement apprendre à percevoir le monde comme un monde sécure, rempli de possibilités et habité. Il va affectivement investir et explorer ce monde de manière motrice, développant son autonomie au sein d’un espace ouvert par la relation sécure. Ainsi, lorsque l’autre est absent, le sujet reste connecté à la relation vivante avec cet autre et le monde est perçu comme porteur d’avenir. La pathologie du vide se définit donc par une relation au monde qui n’est pas soutenue par la relation à l’autre. Elle s’exprime par des blocages dissociatifs avec l’incapacité de se réassocier. Cette incapacité à remettre en place les processus d’accordage renvoie le sujet à des angoisses abandonniques ou à des angoisses de mort. La dissociation signifie la présence d’une contradiction entre la relation à l’autre et la relation à soi, rendant impossible le processus de coopération. Le sujet se sent absent, il est alors dans l’incapacité d’agir en lien avec ses intentions.

Il agit de manière automatique (par exemple, le sujet remplit son verre perpétuellement vide comme un automate, alors que ses intentions seraient de pouvoir être libre vis-à-vis de l’alcool, de garder une relation de plaisir avec ce breuvage magique et d’être capable de maîtriser sa consommation). Il est dans l’incapacité de se sentir reconnu dans sa relation avec l’autre. Quoi qu’il fasse, il ne parvient pas à être lui-même, il se sent seul et perdu dans un monde vide de sens, oscillant entre des vécus de maltraitance et d’abandon. Le vide est ce qui caractérise sa relation à l’autre, à lui-même et au monde, et rend impossible la perception de son autonomie relationnelle. Faire émerger ce vide comme contexte est la condition nécessaire pour déconstruire le vide identitaire, afin de percevoir et de pouvoir travailler la dimension relationnelle de la transe ordinaire. Il existe deux manières de faire émerger ce contexte en thérapie. Soit le sujet vit dans un monde de maltraitance, le vide relationnel étant défini et contrôlé par l’autre, le sujet n’a pas accès à des expériences lui permettant d’être reconnu dans sa différence, la pathologie est contextuelle (je ne suis pas alcoolique, même si je bois parfois de façon excessive). Dans ce cas, le questionnement thérapeutique a pour but de chercher une exception, c’est-à-dire des moments où le sujet arrive à être en même temps en relation avec l’autre et avec lui-même.

Lorsque cette exception n’est pas perçue, dès que le sujet désire, donne son propre avis et cesse de jouer un rôle, l’angoisse l’envahit, il est tenaillé par la peur d’être rejeté et abandonné. Dans cette occurrence, le sujet sacrifie son autonomie de peur de perdre la relation, c’est l’autonomie qui est vide. Soit le sujet vit dans un monde d’abandon, il se sent seul et trahi et quoi qu’il fasse, il se dévalorise à ses propres yeux. Il est devenu l’objet d’un monde qui a pris le pouvoir sur sa capacité d’initiative, il vit dans un monde vide. Toute relation porte en elle des angoisses de maltraitance et tout échec relationnel porte en lui des angoisses de mort. La pathologie est devenue identitaire (je suis alcoolique), et l’absence de produit active les angoisses de mort. Le produit génère avec le temps la mort du corps, mais l’absence de produit génère des angoisses de mort à court terme. Le sujet a perdu toute protection, c’est la relation qui est vide. Dans le monde abandonnique, le questionnement thérapeutique a pour but de déconstruire le monde du vide par des questions qui externalisent le vide et son pouvoir sur les relations du sujet.

Le thérapeute, confronté aux angoisses en lien avec la question du vide doit commencer par travailler le vide de relation avant le vide d’autonomie.

EXEMPLES DE LA PHOBIE DU VIDE : ACROPHOBIE

Pour illustrer ces considérations théoriques, nous allons montrer, à travers trois situations cliniques, comment le vide peut intervenir différemment dans la problématique phobique : soit sous forme anticipatoire, soit à partir d’une expérience traumatique, et cela dans le monde de la maltraitance ou dans le monde de l’abandon. Prenons l’exemple de la phobie des ponts. Nantes étant une ville traversée par la Loire, de nombreuses personnes con - sultent avec cette phobie, en particulier lorsqu’elles sont amenées à traverser le pont de Cheviré en voiture, pont qui paraît dangereux pour différentes raisons : la densité du trafic, sa grande hauteur et son imaginaire de mort lié aux nombreuses personnes suicidaires qui ont choisi ce lieu pour disparaître. Il est nécessaire dans ce type de prise en charge de bien différencier la manière dont l’espace est structuré chez le sujet qui consulte.

Cela nous servira de guide pendant les entretiens et les séances d’hypnose afin de construire une stratégie thérapeutique. Si le monde de la maltraitance n’a pas envahi la totalité de l’imaginaire du sujet, cela signifie qu’il peut, malgré son angoisse pendant qu’il traverse le pont, décrire d’autres contextes où il se sent en sécurité. Il est alors capable de trouver des ressources en lien avec au moins une personne sécure, même si l’angoisse l’empêche de percevoir spontanément cette sécurité relationnelle.

Madame A., 42 ans, vit avec son conjoint et leurs trois enfants. Elle est amenée à consulter en raison de sa phobie à traverser quotidiennement le pont de Cheviré pour se rendre dans l’entreprise où elle travaille. Depuis plusieurs mois, elle essaye de « faire le vide » dans sa tête, de contrôler sa respiration, et parvient ainsi à franchir le pont, même si l’expérience est très désagréable. Elle parle régulièrement de son angoisse d’anticipation à son conjoint qui, dit-elle, est à l’écoute et cherche à la rassurer. Elle en a parlé à son médecin traitant qui lui a conseillé dans un premier temps de faire de la relaxation. Elle vient me consulter suite à une attaque de panique en montant dans sa voiture, avec angoisse.... Pour lire la suite...

 


Dr Julien BETBEZEDr Julien BETBÈZE
Psychiatre des hôpitaux, chef de service de l’Accueil familial thérapeutique de Loire-Atlantique, CHS de Blain. Chargé de cours à Nantes à la Faculté de psychologie (DESS Cognitif et clinique) et à l’UER de médecine : DU Addictions, DU Hypnose thérapeutique, DU Douleur. Thérapeute familial, Service d’addictions du CHU de Nantes. Responsable pédagogique et formateur à l’Arepta-Institut Milton Erickson de Nantes. Formateur au CHTIP à Paris. Coauteur avec Y. Doutrelugne, O. Cottencin, L. Isebaert et D. Megglé de Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes, crises et opportunités, éditions Masson, 2016.




 

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N°57 Mai/Juin/Juillet 2020

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