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Hypnose: Une bulle d’oxygène au Centre Hospitalier de Bligny
Agathe DELIGNIERES
Quand au cours d’une séance d’hypnose, Angéla, insuffisante respiratoire sévère sous oxygène, très dyspnéique et épuisée, allongée sur son lit d’hôpital, s’exclame dans un grand sourire proche du rire : « je cours... je cours... », j’ai l’impression de courir avec elle et mon activité de psychologue prend une fois de plus un réel sens.
CLINICIENS, SOIGNANTS ET CHERCHEURS, TRAVAILLER ENSEMBLE
J’aimerais évoquer avec vous le projet de recherche mené auprès des grands insuffisants respiratoires au Centre hospitalier de Bligny (Essonne). Psychologue en équipe mobile Douleur et Soins palliatifs depuis bientôt cinq ans, après quelques années au CHU d’Amiens auprès de patients atteints de cancer, un DIU de soins palliatifs et une formation en sophrologie en poche, mon arrivée au CH de Bligny est en lien direct avec une formation en hypnose.
L’établissement est spécialisé dans la prise en charge d’affections cardio-vasculaires, onco-hématologiques et infectieuses. Nous avons la chance de travailler dans un lieu où les médecins ont toujours été animés par la conviction que « prendre soin du psychisme et du moral des patients compte tout autant que le soin à guérir le corps ». « Permettre aux pensionnaires de développer un esprit optimiste et joyeux autorisant un positionnement positif et constructif face à la maladie » est une vision qui n’a cessé de guider les valeurs, le mode de fonctionnement, les approches thérapeutiques de l’établissement au fil des années jusqu’à nos jours. Fidèle à cette dynamique, le CH de Bligny choisit aujourd’hui de continuer à développer les thérapies complémentaires aux traitements classiques et notamment les approches à médiation psychocorporelle.
C’est dans cet esprit qu’à l’initiative d’un petit groupe, et avec le soutien de la direction, nous lançons en 2016 la formation des soignants à l’hypnose. Le projet : former 20 soignants par an (médecins, infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, psychologues, diététicienne) pendant trois ans. Le Dr Jean Becchio anime cette formation en hypnose désormais complétée par ce nouveau concept de Techniques d’Activation de Conscience (TAC). Dès la première année, nous observons des changements. Constatant ainsi ce que les études montrent : l’apprentissage de l’hypnose améliore la qualité des soins mais aussi la satisfaction des soignants. Il permet aux professionnels de santé d’investir leur fonction de soignants différemment.
A l’hôpital, nous évoluons dans un espace de souffrance et notre métier comporte une charge émotionnelle importante. Avec l’hypnose, l’approche est attentive, respectueuse et nous permet d’accompagner le patient avec bienveillance. Les soignants apprennent des techniques analgésiques simples qu’ils utilisent lors de certains soins douloureux. L’apprentissage personnel d’exercices d’auto-activation (autohypnose) nous permet aussi de mieux supporter la pression de la charge émotionnelle inhérente à l’environnement de la maladie grave.
Une situation relatée par des collègues de soins palliatifs m’a particulièrement marquée : Monsieur H. est depuis quelques jours en unité de soins palliatifs. Une partie de l’équipe est formée à l’hypnose et il a déjà bénéficié de quelques séances, petites bulles de confort qui semble-t-il l’ont apaisé. La veille, la toilette a été particulièrement douloureuse.
Dans la tempête, nous étions avec le patient en sécurité
Malgré les prémédications, la délicatesse de l’infirmière et de l’aide-soignante, le patient a crié et les soins ont été difficiles. Ce jour-là, l’équipe particulièrement émue par cette souffrance appréhende de devoir de nouveau le mobiliser pour les soins. Les trois soignantes présentes décident de faire la toilette sous hypnose. Après une courte induction, elles emmènent Mon- sieur H. sur une plage qu’il connaît bien et lui proposent de rentrer dans l’eau. Son corps progresse dans l’eau et devient de plus en plus léger. Les soins se font au rythme des vagues qui deviennent de plus en plus hautes (il est alors sur le lève-ma- lade), de plus en plus importantes. La tempête prend de l’ampleur et le patient est en sécurité. Il bouge au rythme du mouvement de l’eau et se laisse porter avec confiance par les paroles et les gestes des soignants. Lorsque nos collègues nous relatent ce moment, elles semblent de nouveau entrer dans cette bulle et vivre cet instant de confort « On était sur la même barque donc en sécurité, c’était un moment rassurant car on œuvrait tous ensemble pour le traverser. Dans la tempête, nous étions avec le patient en sécurité. »
Comme me le disait une patiente à la fin d’une séance : « J’ai le sentiment que nous avons fait ensemble une très belle danse. »
A Bligny, très vite nous organisons des rencontres d’intervision. Ces réunions mensuelles autour d’un plateau-repas sont des temps pendant lesquels le personnel partage sur sa pratique de l’hypnose et continue de se former. Pendant ces échanges, revient régulièrement le même constat : les séances proposées aux patients grands insuffisants respiratoires semblent les soulager. Suite aux séances nous observons que les patients dyspnéiques sont plus apaisés. Ils respirent tout simplement mieux. La dyspnée est un symptôme physique pénible et angoissant. Les sédatifs susceptibles de soulager ces patients exposent au risque d’aggravation respiratoire. L’hypnose ne présente pas, a priori, ce danger.
Ce domaine ne semblant pas avoir été exploré jusqu’à présent, germe alors l’idée d’un projet de recherche afin d’objectiver ce que nous constatons. Nous ne sommes pas dans un hôpital universitaire et cette démarche n’y est donc pas classique. Nous voulons vérifier des résultats qui nous surprennent et nous nous disons qu’introduire cette rigueur dans nos pratiques peut nous mener vers plus de qualité. C’est notamment ce que nous suggère Irene Higginson qui, dans une étude du Cicely Saunders Institute présentée au Congrès européen de soins palliatifs (European Association for Palliative Care) de 2018, montre que les or- ganisations qui ont un projet de recherche donnent de meilleurs soins. Par ailleurs, nous sommes des soignants et lorsque nous avons commencé à nous réunir pour réfléchir à ce projet, il est apparu évident que nous devions nous entourer de professionnels de la recherche. On est en effet plus compétents à plusieurs. Hernan Anllo, chercheur en psychologie à l’ENS, nous rejoint. Il complète désormais notre équipe de cliniciens. La recherche est peu présente en soins palliatifs. Mettre de la rigueur dans cet environnement où nous sommes amenés à travailler dans la complexité n’est pas toujours confortable. C’est par définition un environnement où il faut faire avec le postulat qu’on ne comprendra pas tout, où nous sommes dans un ajustement permanent et, comme le dit si bien Edgar Morin, où il faut faire avec « un trou noir dans nos certitudes ».
L’idée de cette recherche est partie d’une intuition sur le terrain...
Cependant, si on remet le patient au centre de nos préoccupations et qu’on remarque que l’hypnose est bénéfique et apporte du confort, cela ne vaut-il pas la peine d’évaluer ce modèle de soins afin de le diffuser et de pouvoir en faire profiter d’autres patients ? Petit à petit, nous précisons le sujet de l’étude : « Evaluer l’effet d’une séance d’hypnose chez les patients dyspnéiques ».
La population étudiée est définie : patients BPCO (Broncho Pneumopathie Chronique Obstructive, maladie chronique inflammatoire des bronches entraînant une importante gêne respiratoire) stade 4, donc à un stade avancé de la maladie. Le choix se porte sur une étude contrôlée. Chaque patient bénéficie de deux séances à 24 heures d’intervalle par le même opérateur : une séance d’hypnose et une séance dite « contrôle » de lecture d’un texte neutre. Chaque patient est donc son propre témoin. Les mesures avant et après chaque séance du rythme cardiaque et de la saturation en oxygène sont faites systématiquement.
Nous évaluons également la composante émotionnelle de la dyspnée avec l’échelle Stai modifiée et le test de Borg. Et les résultats sont là. Alors que nous avons étudié à peine 20 patients, le niveau d’anxiété et la fréquence respiratoire baissent plus significativement après la séance d’hypnose qu’après la séance contrôle (lecture d’un texte).
L’idée de cette recherche est partie d’une intuition sur le terrain. Elle vient du patient. Mais pour la mettre en place, il a fallu franchir quelques étapes : nous entourer de scientifiques, de professionnels de la recherche. Il a fallu et il faut encore trouver des financements, frapper aux portes, monter des dossiers, oser répéter et encore répéter pour convaincre. Cela prend du temps, il faut de la ténacité mais cela avance. Nous sommes tous sensibles à l’humain, et la force de cette expérience c’est je crois le groupe pluridisciplinaire d’environ 12 personnes (médecins, psychologues, infirmières, aides-soignants, kinésithérapeutes et chercheur) qui se réunit mensuellement et permet de veiller à toujours remettre le patient au centre. C’est un travail d’équipe : les cliniciens ont besoin de scientifiques et les scientifiques de personnes de terrain. C’est cette complémentarité qui a permis de définir le cadre de l’étude.
Les points de vue de chacun sont parfois différents. Lors d’une rencontre, par exemple, alors que nous réfléchissions aux mesures à prendre lors de la séance d’hyp- nose de façon à en évaluer l’efficacité et à la façon de prendre ces mesures. La proposition du chercheur était d’utiliser une sorte de ceinture ou gilet qui pourrait être enfilé par le patient et qui faciliterait les mesures en continu (saturation, rythme cardiaque, fréquence respiratoire...). Cette approche qui positionne le patient comme « objet de recherche » est intéressante et peut paraître assez facile à mettre en œuvre. Elle n’a cependant pas été retenue par le groupe de cliniciens considérant le patient comme « sujet de soin ». Le groupe s’est en effet montré réticent à devoir mobiliser un patient très essoufflé au moindre mouvement pour lui demander d’enfiler la ceinture ou le gilet. Pour le confort du patient, nous choisissons ensemble de plutôt prendre des mesures très simples avant et après la séance. Le chercheur fait un pas vers les cliniciens.
De la même façon, être confronté à la rigueur scientifique est parfois déroutant pour nous soignants et nous avons dû nous adapter et faire différemment.
Qu’apprend-on quand on se forme à l’hypnose ? Etre à l’écoute du patient. Etre attentif à ses mots, à son mode de communication verbale et non verbale. Utiliser ensuite ces éléments dans la séance proposée. Nous comprenons vite l’intérêt de s’adapter au patient, et de personnaliser la séance en utilisant ce qu’il nous apporte. J’ai pu expérimenter lors
de mes séances avec les patients l’impor- tance de laisser le processus s’activer, de se laisser porter par cette « intuition », cet accord avec la situation présente. Au cours de ma pratique, je découvre l’im- portance de ne pas se poser la question du « que faire et pourquoi le faire, comment ça marche ? », mais « comment épouser les mouvements et le rythme de l’autre ? ». Cela demande un gros travail personnel sur la confiance en soi et oblige à un lâcher-prise important pen- dant les séances.
Le chercheur fait un pas vers les cliniciens
Comme le dit Eric Bonvin : « Le doute radical du thérapeute devient le garant de la place accordée à l’autre. ».....
AGATHE DELIGNIERES
Psychologue depuis 1993. Son activité est orien- tée dans un premier temps en psychologie du travail. Elle intervient depuis dix ans en oncologie et en soins palliatifs, tout d’abord au CHU d’Amiens et aujourd’hui au Centre hospitalier de Bligny (Essonne). Elle exerce également en libéral à proximité de Fontainebleau. Formée en sophrologie puis en hypnose avec Jean Becchio. Egalement formée aux thérapies brèves et HTSMA.
- Laurent GROSS
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