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Le lien comme processus de ré-accordage. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 69
La relation patient-thérapeute relève du partage affectif, quand chacun apporte son sensible dans l’installation du lien thérapeutique. Exemple avec le cas de Madame L., dissociée de son corps, pour laquelle il a fallu « remettre en place le “nous” dans la bulle hypnotique ».
Si Hippolyte Bernheim a utilisé l’hypnose sous forme d’induction où l’hypnotiste a le pouvoir miraculeux sur l’hypnotisé qui, passivement, reçoit ce magnétisme animal, Milton Erickson a permis d’expérimenter le fait que l’hypnose est avant tout une expérience relationnelle « de réassociation et de réorganisation », où l’induction ne devient qu’un moyen d’y parvenir et non un but.
« La suggestion directe repose principalement, même si cela n’est pas délibéré, sur l’hypothèse que tout ce qui se produit en hypnose provient des suggestions données. Cela implique que le thérapeute a le pouvoir miraculeux d’effectuer des changements thérapeutiques chez son patient, et néglige le fait que la thérapie résulte d’une re-synthèse intérieure du comportement du patient effectuée par le patient lui-même. Il est vrai qu’une suggestion directe peut produire une modification du comportement du patient et entraîner une guérison symptomatique, au moins temporaire. Cependant, une telle “guérison” n’est rien d’autre qu’une réponse à la suggestion et n’implique pas cette ré-association et cette réorganisation des idées, des compréhensions et des souvenirs qui sont tellement essentielles pour une guérison véritable. C’est cette expérience de ré-association et de réorganisation de son propre vécu qui aboutit à la guérison et non la manifestation d’un comportement réactionnel qui peut, au mieux, satisfaire seulement l’observateur » (Milton Erickson).
La mise en place d’une relation sécure et non jugeante avec le thérapeute va permettre au patient de pouvoir faire « cette expérience de ré-association et de réorganisation de son propre vécu ». Etre en relation de façon pleine et entière participe déjà au processus de ré-association, l’induction n’étant qu’un moyen venant colorer cette relation. La relation est du partage affectif, elle est du côté du sensible. Tant que le patient ne perçoit pas l’intention positive du thérapeute à entrer en relation avec lui, il se raidit et ne peut pas accueillir son ressenti sensoriel. Il ne peut pas donner un sens à sa sensorialité intérieure, son sensible, de par cette incapacité à s’y relier en lien avec le thérapeute car la perception de l’intention est la clé nécessaire pour entrer en relation. Et au contraire, quand l’intentionnalité du thérapeute est en place et qu’elle est partagée par le patient, ce dernier peut tisser entre sa sensorialité externe et interne grâce au partage affectif de l’expérience de cette relation et peut alors commencer à se ré-accorder à lui-même, se ré-associer. Il est parfois nécessaire de prendre du temps dans les premières séances pour installer ce lien thérapeutique où l’intentionalité passera de non visible à visible donnant ainsi un sens différent à l’acte thérapeutique. Le « temps long » de ce tissage relationnel permet à la relation de se densifier dans sa forme, ce qui est plus apaisant et stabilisant pour le patient que d’être dans une relation intense et courte. A l’instar de l’induction en hypnose, l’action de toucher ne devient alors plus l’unique intention du thérapeute corporel, kinésithérapeute ou ostéopathe, elle devient la forme que peut prendre la relation thérapeutique lorsque le couple « intention-action » est bien relié. Le fait de toucher sera alors encore plus réassociant pour le patient car il aura pu percevoir quel sens donner à cette action. L’accordage thérapeute-patient permet l’accordage du patient avec sa propre sensorialité, comme le soulignait Erickson dans la phrase ci-dessous.
« Ce n’est que récemment que l’intérêt scientifique rapidement croissant pour l’hypnose a permis de reconnaître en elle une condition ou un état intrapersonnel particulier et de grande valeur, état provenant d’une relation interpersonnelle et ayant une portée significative, tant au plan intrapersonnel qu’au plan interpersonnel » (Milton Erickson, 1980). Autrement dit, c’est parce que je suis en relation avec l’autre que je peux être en relation avec moi-même et donc me ré-associer ou encore me ré-accorder. Tout comme le musicien qui accorde son instrument en écoutant les notes de celui-ci et qui va lui permettre de faire « corps » avec son instrument, le patient se relie à lui-même par une écoute sensible de ses sensations fluides et diverses qui vont alimenter cette relation intrapersonnelle. Cette relation intrapersonelle est vraiment très compromise chez certains de nos patients qui souffrent depuis longtemps, soit à cause de douleurs chroniques ou de blocages émotionnels, et qui ont rompu la relation à leur sensorialité de façon à baisser leur charge émotionnelle. Le corps en relation, à soi et à l’autre, a été totalement désinvesti et ne peut plus être le terrain sécurisant pouvant accueillir les expériences émotionnelles. Ce vide corporel est la raison pour laquelle ces patients ne peuvent pas être en introspection de leur monde sensible, et ce n’est pas une résistance de leur part.
Il est évident que chez ces patients, les traitements purement physiques sont souvent inadéquats car ils ne font qu’augmenter leur propre dissociation et les mettent en échec par cette impossibilité de se relier à eux-mêmes. Le voyage interne les met en grande insécurité et ils sont incapables de s’approprier des changements de sensations que procure la manipulation physique, ce qui est d’ailleurs très décourageant pour le praticien. C’est aussi ce que nous retrouvons dans la théorie polyvagale de Stephen Porges. Le vagal récent ne peut s’harmoniser que lorsque la relation interpersonnelle est suffisamment sécurisante et qui permet l’adaptation du corps en relation, aussi bien au niveau de ses rythmes que de son relâchement, une écoute particulière intrapersonnelle, une synchronisation. C’est ce que nous allons développer dans le cas clinique qui suit.
LE CAS DE MADAME L. COUPÉE DE SON PROPRE CORPS
Madame L. est une patiente de 80 ans qui s’est fait opérer d’une prothèse totale de hanche il y a dix-huit mois. Malgré des séances de kinésithérapie post-opératoire pour réharmoniser musculairement sa nouvelle hanche, elle garde une douleur floue et lancinante à la marche que le chirurgien ne comprend pas. Vivant seule, cette situation commence à l’handicaper pour pouvoir rester autonome et indépendante dans sa vie. Nous commençons alors un traitement en kinésithérapie et les trois séances que nous faisons n’améliorent en rien sa gêne, et connaissant le très bon travail fait avec mon collègue, je fais l’hypothèse que le volet corporel est venu trop vite dans le processus thérapeutique. Je perçois alors le fait qu’elle ne peut pas accueillir un quelconque changement de son état corporel car elle est dissociée de son corps, elle ne peut plus accueillir sa sensorialité comme nous venons de le voir ci-dessus. Il m’apparaît alors essentiel de reprendre du temps pour rendre visible l’intention thérapeutique qui est d’être pleinement en relation avec elle et d’avoir un partage affectif lui permettant de se relier au sensible. C’est alors que nous nous décidons à arrêter le traitement physique et nous programmons une séance d’hypnose. Lors du premier rendez-vous, ce changement de cadre a comme effet sur elle de l’autoriser à se livrer très différemment. Elle me dit que sa vie est « une vie gâchée » du début jusqu’à la fin. Elle garde de son enfance le souvenir d’événements froids qui se succèdent dans une famille où l’affection et le toucher ne sont pas possibles. Elle n’a pas pu expérimenter la relation à un monde sécure où les actions sont reliées aux intentions et permettent un partage affectif. Au contraire, le monde dans lequel elle grandit est un monde où les actions sont des gestes opératoires dénués de toute affection aggravant le processus dissociatif. A partir de l’adolescence, elle se renferme sur elle-même, et à 18 ans le premier jeune homme qui la regarde l’épousera après deux années de fréquentation en tout bien tout honneur. Ce sont deux démunis affectivement et émotionnellement qui commencent alors à vivre ensemble ne sachant pas comment entrer en contact ensemble. Leur sexualité est quasiment inexistante et très désinvestie de toute affection, mais ils auront quand même deux garçons dont le premier meurt à la naissance. Pour le deuxième garçon, elle s’avère être une jeune maman qui fait tout pour rentrer en lien avec ce nouveau-né et essaie de faire différemment de ce que sa famille et sa belle-famille lui lèguent en le touchant beaucoup. Jusqu’au jour où sa soeur lui déconseille vivement de continuer à câliner ainsi son fils de 7 mois auquel cas il deviendra fou et ne pourra plus « lâcher » sa mère. Elle prend peur et décide de suivre les conseils et ne touche plus son fils sauf pour les soins et de façon froide et opératoire. En se coupant affectivement de la relation à son fils, elle se coupe de la même façon de son propre corps qui lui permet de ne plus ressentir de sensation et donc d’émotion, ce que nous avons vu avant sur le lien entre la relation interpersonnelle et intrapersonnelle d’Erickson. Avec cette patiente, nous…
MARIE-ANNE JOLLY
Masseur-kinésithérapeute en libéral à Lannion (22).Elle a tout d’abord associé le massage chinois à sa pratique avant d’en faire autant pour l’hypnose. Toujours en quête d’apprendre et d’élargir ses connaissances, elle se forme aussi en sexocorporel, en thérapies narratives et en Thérapie du lien et des mondes relationnels (TLMR). Elle partage régulièrement son expérience sur l’apport de l’hypnose dans sa pratique professionnelle en congrès, par des articles, des publications et comme formatrice.
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