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Corps et espace sécure: changer le monde du patient. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 68.

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 68
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L’hypnose thérapeutique et la théorie de l’attachement décrite par John Bowlby (1) insistent sur l’importance de la relation sécure pour modifier nos perceptions, se réassocier et développer une nouvelle manière d’être. Les deux cas présentés ici tentent d’illustrer ces notions.

Chirurgien vasculaire libéral, j’ai découvert au fil du temps l’intérêt de ces approches au quotidien dans le cadre de mon exercice à de multiples occasions en tant qu’outil complémentaire, en hospitalisation pour les douleurs fantômes après amputation, par exemple, au bloc opératoire pour la chirurgie des varices sous anesthésie locale stricte avec accompagnement hypnotique, ou à mon cabinet de consultation.

Comprendre l’importance de la relation sécure, pour faire face aux mondes de la maltraitance, de la guerre ou de l’abandon, m’a apporté un soutien théorique précieux dans la relation d’aide. Il me semblait jusqu’alors difficile de traiter tous mes patients avec le seul « background » d’hypnose dont je disposais, sans avoir intégré le lien entre relation insécure et dissociation. Les deux cas rapportés m’ont interpellé et je serais heureux de pouvoir échanger à leur sujet. J’y ai vu une illustration frappante de la théorie de l’attachement dans le cadre de la survenue, de l’aggravation ou du maintien de troubles physiques.

CAS N° 1 : UN PATIENT TRAITÉ POUR UNE ARTÉRIOPATHIE OBLITÉRANTE

Un patient âgé de 52 ans avait subi sur cinq ans de nombreuses revascularisations chirurgicales pour une artériopathie oblitérante. Informé sur le rôle du tabac dans sa maladie, le sevrage tabagique n’avait été obtenu que quatre mois auparavant. Un nouvel épisode d’ischémie sévère a nécessité une revascularisation chirurgicale en urgence, de nuit. Une ultime tentative par pontage axillo-fémoral en veine saphène a été réalisée. Le pontage s’est thrombosé (obturé) précocement, le patient est passé en ischémie suraiguë, bilatérale, hyperalgique. Le lendemain une amputation des deux cuisses a été réalisée en urgence. Geste terrible, mais nécessité vitale. La seule consolation étant alors que l’histoire au moins s’arrêterait là... Un mois plus tard, après son transfert en rééducation, le patient était réhospitalisé pour soins locaux en raison de la reprise du processus de nécrose d’origine artérielle sur ses deux moignons de cuisse. Soins locaux quotidiens, JetoxTM (A), morphiniques, perfusions d’Ilomédine (B) et d’Héparino-thérapie (C) intraveineuse, rien n’y faisait. L’aggravation était quotidienne, inéluctable, sans revascularisation chirurgicale envisageable. Je tentais dès lors de transférer ce patient dans deux CHU distincts, sans succès. Le service de médecine hyperbare de Brest a accepté de le prendre en charge durant 15 jours au caisson, sans résultat sur la cicatrisation. Le patient a donc été repris en hospitalisation dans l’établissement.


 La seule alternative chirurgicale restante était la désarticulation de hanche bilatérale... Intervention terriblement délabrante pour un patient de 52 ans ! Ce patient a provoqué bien des insomnies dans l’équipe. Hasard ? J’avais en fin de semaine une supervision (2) à Nantes, durant laquelle j’ai présenté le cas de ce patient, et je me rappelle cette phrase inspirante, révélatrice : « Ton patient vit dans le monde de la guerre et de la maltraitance. Tu dois le faire changer de monde. »


 Dès le lundi, je proposais (au pied du mur) un exercice d’hypnose au patient hospitalisé, dans sa chambre, en présence de son épouse et de sa fille. Rien à perdre, j’avais bien conscience de quitter mes gants de chirurgien pour endosser le rôle de thérapeute. Je me rappelle avoir réalisé une induction classique par un souvenir d’apprentissage, utilisé des métaphores portant sur la reconstruction d’un mur de briques et utilisé l’anticipation antéro-rétrograde.

Le patient était parfaitement réceptif lors de la séance. Pas certain du bien-fondé de ma démarche, je repassais le voir entre deux interventions le lendemain matin. « Que m’avez-vous fait, docteur ? », me dit-il. Sa nuit avait été très agitée par des rêves dont il n’avait pas le souvenir mais il était visiblement secoué. Nous avons pris la décision conjointe de le renvoyer à son domicile quelques jours après. A un mois il avait totalement cicatrisé... Son moral était bon, il avait débuté sa rééducation, récupéré de l’autonomie, son épouse était beaucoup moins déprimée et le chirurgien, totalement interloqué... Avait-il changé de monde pour celui de la vie et de la coopération ? Quoi qu’il en soit, il s’était remis en mouvement.

CAS N° 2 : UNE PATIENTE ENCEINTE VICTIME DE FAUSSES COUCHES À RÉPÉTITION

Le second cas illustre également la façon dont la relation d’attachement et la perception d’un monde sécure a guidé une intervention d’aide. Lors d’une autre supervision, je présentais le cas d’une patiente que je devais voir prochainement après sept fausses couches à répétition dans le cadre de FIV fécondations in vitro. L’hypothèse proposée durant la supervision était que la patiente inconsciemment refusait de concevoir un enfant dans un monde insécure, un monde de la guerre. Cette patiente étant collègue de mon épouse, je suis intervenu à son domicile en présence de son conjoint, alors qu’elle était alitée pour une nouvelle menace d’accouchement prématuré, au 5emois de grossesse (contractions, col ouvert). Une injection de corticoïdes avait été réalisée pour éviter à l’enfant qui risquait de naître dans les jours à venir une maladie des membranes hyalines…

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Dr Jean-François DESJARDINS
 Chirurgien vasculaire libéral à l’Hôpital privé des Côtes-d’Armor (Plérin), convaincu de l’importance du lien dans le processus thérapeutique y compris en chirurgie. Formations : hypnose et thérapies brèves à l’ARePTA-IMHE Nantes, au GEMA, DU d’hypnose médicale de la Pitié-Salpêtrière, Hypnodyssey (Villejuif), rencontres avec François Roustang.


 

Revue Hypnose Thérapies Brèves 68Revue Hypnose & Thérapies brèves n°68

N°68 : Février / Mars / Avril 2023

Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente dans son édito le contenu de ce n°68 :

Comment devenir un meilleur thérapeute ?

Cette question est au centre de notre pratique, elle implique la « présence » du thérapeute dans une approche centrée sur le corps relationnel, ainsi que la mise en place d’évaluations visant à améliorer la qualité du lien thérapeutique.


. François Cartault nous montre comment le travail sur le deuil implique de retrouver la relation perdue comme étape initiale avant de développer l’autonomie de la personne endeuillée. Dans la séance présentée, le questionnement narratif met en évidence l’importance de décrire les différences et les points communs entre les sujets pour enrichir et faire perdurer la relation.
. Solen Montanari nous décrit la situation d’Elisa, 14 ans, qui a perdu toute confiance, un « truc » l’empêchant de lâcher prise dans la relation de soin. Selon l’approche TLMR (Thérapie du lien et des mondes relationnels) qu’elle pratique, elle intègre sa propre résonance (image d’un iceberg et vécu de chair de poule) pour co-construire un imaginaire partagé où le thérapeute et Elisa regardent ensemble la scène et en ressentent les effets sous forme d’une expérience unique.
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond nous fait part de son expérience des séances d’hypnose partagées avec François Roustang. Elle souligne l’importance de la ''présence'' pour François Roustang dans sa manière de constituer une relation thérapeutique. Elle rappelle le principe qui gouverne sa pensée, l’existence de deux registres distincts : une forme discontinue correspondant à la dimension de l’individualité, et une forme continue, un fond, constitué de l’ensemble du système relationnel correspondant à la dimension de la singularité.

Ces trois auteurs mettent en scène ce qui est au centre de l’utilisation de l’hypnose en thérapie : le développement d’un processus coopératif où la présence du thérapeute est renforcée par le fait que ce dernier ne pense pas à la place du sujet.

. Grégoire Vitry et ses collaborateurs nous montrent comment la participation de chaque thérapeute à un réseau d’évaluation de sa propre pratique (Réseau SYPRENE) favorise une amélioration de notre pratique. Dans ce travail de recherche portant sur les effets de l’évaluation de l’alliance thérapeutique et de l’état de bien-être, nous comprenons l’importance de tenir compte de la perception du sujet et de partager avec nos pairs.

L’édito de Gérard Ostermann dans l’Espace Douleur Douceur souligne l’importance de la capacité du thérapeute à faire un « pas de côté » pour rendre l’hypnose vivante dans les soins.

Chirurgie maxillo-faciale en mission humanitaire, un article de Christine ALLARY

- Olivier de Palezieux nous parle du placebo

Dans le dossier consacré aux addictions, une constante est l’absence de confiance dans la relation humaine. Les trois auteurs, Maxime DevarsAnne Surrault et Nathalie Denis, nous proposent différentes manières de se libérer des symptômes bloqueurs de la relation (hyperactivité dans l’anorexie, conduite automatique chez le fumeur). Ils s’appuyent sur leur créativité et un imaginaire donnant toute sa place à la stratégie pour que les sujets puissent se réapproprier leur responsabilité dans le soin.

Nous retrouvons la qualité des chroniques habituelles, l’humour de Stefano et Muhuc, les situations cliniques richement décrites par Sophie Cohen, Adrian Chaboche et Nicolas D’Inca : à lire et à se laisser imprégner.

Ce numéro rend également hommage au Professeur Peter B. Bloom, ancien président de l’ISH qui vient de nous quitter le 10 septembre 2022 à l’âge de 86 ans. Dans une interview donnée à Gérard Fitoussi, il souligne l’importance de la créativité dans notre pratique et son espoir que l’hypnose continue à favoriser les rencontres et à nous faire partager des histoires de vie.

Crédit photo © Michel Eisenlohr

 

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