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Hypnose en soins palliatifs: un chemin vers les étoiles.

Hypnose et soins palliatifs
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Salomé « sur son tapis volant dans les étoiles », c’est l’histoire émouvante de l’accompagnement d’une patiente en soins palliatifs par l’hypnose. Il s’agit ici de Salomé, 48 ans, atteinte d’un cancer de l’estomac. Sa prise en charge a été très lourde et fastidieuse : chirurgie à plusieurs reprises, chimiothérapie, radiothérapie, multiples récidives, douleurs intenses, occlusion intestinale...

Elle a eu un parcours de soins sur deux ans, enchaînant les hospitalisations, puis elle est restée à son domicile après son diagnostic d’occlusion et l’annonce de sa prise en charge palliative. Chez elle, Salomé est en hospitalisation à domicile, avec des soins très lourds : sonde nasogastrique, poche de colostomie, nutrition parentérale, pompe à médicament antalgique forte dose, pompe à médicament anxiolytique... Salomé ne peut plus manger, sa sonde gastrique est en aspiration permanente pour éviter les vomissements. Elle continue à boire car elle a souvent soif et envie de sentir des goûts, mais tout ce qu’elle avale est aspiré aussitôt par la sonde. La gestion de tout ceci à domicile devient de plus en plus difficile et épuisante pour Salomé qui a de fortes douleurs et dort très mal la nuit et n’arrive pas à se reposer, et aussi pour sa famille (son mari et ses deux filles).

L’ARRIVÉE EN SOINS PALLIATIFS

Salomé appréhende énormément le recours à une hospitalisation, mais elle finit par décider de se faire prendre en charge en unité de soins palliatifs, devant une recrudescence des douleurs, une asthénie majeure associée à une insomnie. C’est dans ce contexte que nous l’accueillons dans notre service. A son arrivée, elle est épuisée. Elle est très entourée de son mari et de ses deux filles. Ils se relaient pour être toujours à ses côtés, de jour comme de nuit. C’est une famille qui semble très unie, voire fusionnelle. Au départ, l’équipe ressent des difficultés à « approcher » Salomé et sa famille. Ils nous semblent « fermés » voire réticents aux soins que nous proposons, comme s’ils voulaient rester « dans leur bulle ». Nous en discutons beaucoup en équipe aux transmissions et aux staffs, tentant d’élaborer des « stratégies » pour pouvoir bien accompagner Salomé et sa famille. Petit à petit, l’approche se fait et nous percevons une confiance qui s’installe : Salomé accepte les soins psychocorporels que nous lui proposons (balnéothérapie, massages, réflexologie, aromathérapie).

PREMIER MOMENT D’ABANDON, PREMIÈRE SÉANCE D’HYPNOSE

 Elle ne souhaite pas rencontrer la psychologue. C’est difficile d’aborder avec elle les questions médicales : douleur, anxiolyse, modification de traitements, poursuite ou non de la nutrition parentérale... Lorsque je fais sa connaissance et que j’aborde ce type de questions, elle se ferme, elle n’a pas de demandes spéciales et écourte ma visite. Le lendemain, l’atmosphère est plus légère lorsque, lors de ma visite, nous abordons des sujets différents : un petit tableau qu’elle a accroché au mur de sa chambre, ses lectures (elle a des livres sur sa table de nuit, dont Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry), les films qu’elle aime regarder, son goût pour la méditation. Elle me raconte qu’elle n’arrive pas à dormir. Elle a envie de se reposer mais n’y arrive pas, même avec les médicaments. Et pourtant elle sent qu’elle est très fatiguée et qu’elle a besoin de repos. C’est comme si elle était en « hypervigilance » tout le temps. Dès qu’elle ferme les yeux les idées commencent à tourner dans sa tête, l’empêchant de se reposer, alors qu’elle et son corps en ont besoin, elle le sait, elle le sent. Avant, elle y arrivait grâce à la méditation, mais maintenant c’est impossible. Elle m’explique qu’elle a toujours eu l’habitude de tout gérer, dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle : elle est toujours en action, en activité, en train de prévoir et de faire des choses. Elle travaille avec son mari en tant qu’associée, elle gère beaucoup de choses dans leur entreprise, s’occupe de la comptabilité... A ma remarque « c’est vous la chef, en quelque sorte », elle acquiesce en souriant puis me dit que cela lui manque beaucoup.
- Moi : « Comment ça fait quand vous faites tout ça ? Que ressentez-vous quand vous gérez toutes ces choses, quand vous décidez, quand vous travaillez ?
- Salomé :
Je ressens de la joie.
- Moi :
C’était quand la dernière fois ?
- Salomé : Il y a quinze jours, à la maison, quand j’ai travaillé avec mon mari, j ’ai analysé des comptes pour not re entreprise. » Elle ferme les yeux et sourit en disant cela. Je lui suggère de garder les yeux fermés et de bien observer ce que ça fait dedans, les sensations dans le corps. Elle sourit, la respiration se fait plus ample, son corps semble se détendre : elle allonge ses jambes, pose ses bras, ajuste bien sa tête sur son oreiller. La séance a duré environ dix minutes. Au décours elle semble apaisée, me dit se sentir bien. Je lui propose d’autres séances d’hypnose, elle accepte.

L’APAISEMENT... AVANT LES COMPLICATIONS


Deux jours plus tard, je rentre dans sa chambre pour lui proposer un rendez-vous pour une séance, elle fait sortir son mari et ses filles de la chambre et me dit en fermant les yeux : « Je veux aller à la plage ! » La séance a duré vingt minutes. Au décours, lorsqu’elle ouvre les yeux, elle touche sa sonde gastrique, ses perfusions, son ventre douloureux... Elle me rapporte que c’est comme ça à chaque fois qu’elle se réveille, comme si elle avait oublié pendant le sommeil que tout cela existait... Les jours suivants, elle semble mieux réussir à se reposer. Elle se sert de ses pompes à médicaments antalgiques et anxiolytiques avec moins de réticence. Nous organisons un entretien pluridisciplinaire avec le mari de Salomé et une de ses filles, puis avec Salomé dans sa chambre. Ils nous rapportent être rassurés et apaisés, satisfaits de la prise en charge. Puis l’état de santé de Salomé se dégrade, elle est de plus en plus fatiguée. Des complications surviennent : hémorragie digestive, infection abdominale... Elle a de plus en plus de douleurs mais refuse de se servir des pompes antalgique et anxiolytique par peur d’être trop endormie. Elle lutte en permanence contre la douleur, elle est très affaiblie, elle aimerait dormir mais n’y arrive pas. Un matin, elle souhaite absolument sortir se promener dans le parc de l’hôpital. Son mari l’aide à s’habiller, à se couvrir, je prévois de les accompagner. Malheureusement son état est trop précaire, elle a mal, et elle est obligée de renoncer, déçue. J’arrive à la convaincre de prendre des antalgiques avec sa pompe et je lui propose une séance d’hypnose « promenade virtuelle dans le parc ». Elle accepte. Elle souhaite que son mari et ses filles sortent de la chambre. Durant la séance, elle me prend la main, parle beaucoup, c’est elle qui raconte : il y a des animaux (un lapin bleu, un écureuil, des oiseaux, son chien Paco), des arbres, beaucoup de fleurs (des orchidées, ses préférées, il y en a même qui sentent le chocolat)... Elle est juste avec son chien, elle court derrière lui. Elle ne veut personne d’autre avec elle, « c’est bien comme ça ». Je parle très peu pendant la séance, juste quelques questions sur le VAKOG (comment sont les couleurs, les odeurs, les sensations ?...), et quelques suggestions. Au décours de la séance, elle se sent mieux et les antalgiques ont pu avoir eu le temps de faire effet. Je retourne la voir dans l’après-midi…

MAGALI FARRUGIA

Médecin anesthésiste. Après de nombreuses années au bloc opératoire, nouvelle orientation : elle exerce en Unité de soins palliatifs au Centre hospitalier de Bligny (Essonne). DU d’hypnose médicale, formée en hypnose et thérapies brèves à l’Institut Emergences. Salomé a été sa première patiente de soins palliatifs accompagnée avec l’hypnose. Son histoire l’a marquée, touchée, confortée dans l’idée que l’hypnose est un outil précieux en soins palliatifs.

N°67 : Novembre / Décembre 2022 / Janvier 2023

- Dans un très beau texte, drôle et subtil, Virginie Lagrée rend hommage à la créativité et à l’éthique des familles d’accueil thérapeutique adultes. Elle nous montre, à partir de nombreux exemples, toutes les stratégies développées par ces familles, en lien avec une fine observation des relations tissées au fil de la vie quotidienne. Connaissant bien la pratique de l’accueil familial, devant la qualité de la prise en charge de tous ces patients, pour la plupart psychotiques, on peut s’étonner du peu de services de cette nature dans la psychiatrie publique. Un joli moment d’émotion et de réflexion sur la capacité de chacun à faire confiance à son inconscient.

- Julien Betbèze : Edito : Didier Michaux, chercheur et passeur de l’hypnose

- Quel plaisir d’accueillir dans ce n°67 la réflexion de Dominique Megglé sur la manière de comprendre la psychopathologie à partir de l’hypnose. Il décrit dans les peurs névrotiques le rôle majeur de la peur de l’oubli, de la peur de la nouveauté, et le rôle de l’hypnose profonde pour les traverser. Il souligne l’importance de la ratification et de la qualité relationnelle et développe une hypnopathologie passionnante sur la compréhension de ces différents troubles psychiatriques.

- Michel Ruel nous fait part de son expérience sur le travail avec les endeuillés. Il souligne l’inventivité des hypnothérapeutes français pour retrouver un lien avec les personnes disparues, lien indispensable pour faire un travail de deuil et favoriser un nouveau départ.

- Bogdan Pavlovici nous fait découvrir une approche novatrice en pédopsychiatrie pour rentrer en contact et faire lien avec tous ces enfants réticents qui peinent à s’investir dans une dynamique de soins. A travers l’histoire de Nicolas, 9 ans, il décrit le rôle de la transe hypnotique dans l’écriture des lettres envoyées par le thérapeute, et leur effet thérapeutique en retour chez l’enfant et sa famille.

En couverture : Lisa Bellavoine : Créer le regard

Espace Douleur douceur
- Gérard Ostermann : Edito : Les arbres de l’infinie douleur.
. Dans « Douleur d’amputation », Véronique Betbèze détaille les deux séances d’hypnose qui lui ont permis de remettre en mouvement un patient amputé.
. Magali Farrugia nous explique comment l’hypnose peut compléter l’accompagnement d’une patiente en soins palliatifs et détaille les séances avec une patiente atteinte d’un cancer de l’estomac. Un chemin vers les étoiles.
- David Ogez et Maryse Aubin nous invitent à pratiquer l’autohypnose. A travers le récit de Maryse, patiente en clinique de gestion de la douleur au Québec, nous apprenons comment un programme d’entraînement à l’autohypnose qui vise à réduire les douleurs chroniques des patients et réduire la prise en charge de médication opioïde est mis en place.
. Un hommage à Didier Michaud, chercheur et passeur de l’hypnose qui vient de nous quitter. Isabelle Ignace, Yves Halfon, Jean-Marc Benhaiem, Brigitte Lutz, François Thioly, Gaston Brosseau, Sophie Cohen.

Rubriques :
. Quiproquo : Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed : Le deuil

Culture du monde :
. Nicolas D’Inca : Se libérer du paradoxe – Du zen à l’école de Palo Alto
. Bonjour et après : Sophie Cohen : Le poids du couple… gagner en légèreté

Les grands entretiens : Rubin Battino interviewé par Gérard Fitoussi

Crédit Photos © Lise Bellavoine
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