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Conversations hypnotiques en psychogériatrie. Revue Hypnose Thérapies Brèves n°66
Sarah MULLER
Réflexion sur l’accompagnement hypnothérapeutique d’une personne âgée présentant des troubles cognitifs évolués.
La promotion de la qualité de vie en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) s’opérationnalise via différentes actions, dont le développement de thérapeutiques non médicamenteuses. L’hypnose, de par ses multiples champs d’application, semble représenter une approche prometteuse à intégrer dans l’accompagnement quotidien de nos aînés.
L’APPLICABILITÉ DE L’HYPNOSE DANS LE CADRE DE TROUBLES COGNITIFS SÉVÈRES
L’avancée en âge, dans un contexte pathologique ou non, se traduit par certaines modifications neurophysiologiques et cognitives, notamment une altération des fonctions exécutives et instrumentales qui éveille un questionnement légitime sur l’applicabilité de l’hypnose auprès de nos aînés, la possibilité d’entrer en transe, l’appropriation des suggestions, et plus particulièrement lorsque la personne présente un trouble neurocognitif majeur (TNCM). L’hypnose s’envisage dans un contexte thérapeutique, au-delà de sa définition plus usuelle, comme un mode de communication bienveillant et humaniste favorisant une entrée en relation authentique. La dimension relationnelle et collaborative est primordiale et sert de base au processus thérapeutique. La synchronisation du thérapeute se voit centrale, et permet une mise en phase émotionnelle et physique par l’effet des neurones miroirs. Ces derniers étant les plus résistants au processus neurodégénératif, les mieux préservés, permettent d’envisager, dans un TNCM, la persistance d’une mémoire émotionnelle, ouvrant la voie à l’entrée en relation avec un canal différent du langage. Le sentiment, part élaborée de l’émotion, n’est plus accessible, mais sa composante physiologique, l’expression motrice, l’est toujours. De plus, Page et Green (2007) dénotent une diminution du niveau de suggestibilité entre 19 et 40 ans, qui réaugmente après 40 ans. Ce constat rejoint les observations de Parris (2016), qui établit un lien entre l’augmentation du niveau de suggestibilité et l’atrophie du cortex préfrontal, liée au processus de vieillissement normal ou pathologique. Ces données tendent donc à valider la possibilité pour nos aînés d’entrer en hypnose, moyennant de la part du thérapeute une adaptation considérable du cadre interventionnel afin de prendre la mesure des spécificités que revêtent la pratique et l’état hypnotique auprès de cette population, différant quelque peu de ce qui est usuellement décrit.
COMMENT ADAPTER SA PRATIQUE EN PRÉSENCE D’UN TNCM ?
La littérature, en passe d’étoffement sur le sujet, nous amène quelques pistes à envisager. Avec l’aggravation de la pathologie se dessine l’impossibilité de mener des séances formelles. L’hypnose avec cette population « ne peut se définir ni par l’état hypnotique, ni par l’hypnose conversationnelle, mais plutôt comme un entredeux constant (…), c’est un mode de communication, plus ou moins court, utilisant les techniques d’hypnose ». Dachraoui-Bel (2018) ira jusqu’à envisager qu’en présence de TNCM la personne se situe déjà dans un état de conscience modifié qui se voit en constante évolution, et parlera d’« hypnose à chaque instant ». « Le monde “comme-si” devient le monde “pour de vrai” », car l’orientation dans la réalité se voit mouvante, et la temporalité abolie. Ainsi les concepts d’adaptation, observation et synchronisation se veulent fondamentaux pour saisir les moments opportuns à ce partage relationnel, sans que le temps d’aujourd’hui soit nécessairement celui de demain. Ce temps peut aussi être un moment où la personne est en mouvement. Kenigsberg et al. (2015) diront que la personne perçoit le monde avec son expérience sensorielle, sans intégration pour saisir le contexte, donc sans mise en sens.
Ce constat accorde le primat à la communication non verbale, principal levier d’instauration de l’alliance thérapeutique, d’où la nécessité d’une attitude bienveillante, d’une position basse, au propre comme au figuré, et de repenser, avec toutes les précautions que cela implique, le contact physique avec la personne, qui peut être sécurisant et recherché. A ce propos, Kenigsberg et al. (2015) soulignent que le dos de la main est l’une des zones corporelles où les sensations sont les mieux préservées, pouvant faire du contact avec cette partie un ancrage positif, participant au maintien de la conscience de soi et limitant l’angoisse de morcellement. Ce contact s’inclut dans une notion plus large, le recrutement sensoriel (Floccia et al., 2018) visant à favoriser la focalisation attentionnelle par le biais d’une stimulation multisensorielle simultanée, s’établissant sur la base d’éléments environnementaux pour lesquels le thérapeute balaye le VAKOG. Cela permet une focalisation sur des sensations externes favorisant l’entrée dans son monde interne.
La formulation des suggestions tient compte des déficits sensoriels, et favorise les perceptions des moins déficitaires, en gardant à l’esprit le canal prépondérant de la personne. Le sens déficient peut être utilisé durant l’état hypnotique, mais est à éviter pour l’induction ou l’instauration d’ancrages. Ces derniers peuvent être internes ou externes à la personne, mais avec l’avancée de la pathologie, doivent être concrets et facilement réutilisables. La communication verbale se limite à un langage clair, positif, simple, les phrases sont affirmatives, courtes, répétées. Les questions sont fermées, ou s’envisagent sous la forme de non-questions, permettant l’amorçage de prédictions autoréalisantes. Les silences, suggestions d’amnésie ou confusion sont à éviter, car peuvent revêtir un caractère anxiogène et exacerber la sensibilité aux interférences, déjà induite par la pathologie.
PRÉSENTATION D’UNE VIGNETTE CLINIQUE ET DU TRAVAIL HYPNOTHÉRAPEUTIQUE RÉALISÉ
Madame D. intègre la Résidence à 92 ans suite à une chute ayant entraîné une hospitalisation, et la nécessité d’une entrée en Ehpad. Elle a un GIR 1 (1), ne se mobilise ni ne se déplace seule, et bénéficie d’un accompagnement complet à la toilette, effectuée au lit. Elle présente un diagnostic de Démence fronto-temporale, un TNCM, avec syndrome dysexécutif, le MMSE est à 7/30. Les fonctions de communication sont altérées, elle ne répond aux sollicitations verbales que par quelques mots isolés, lui permettant néanmoins de se faire comprendre si nécessaire. Les capacités de compréhension semblent préservées pour les consignes simples. Elle présente un déficit auditif. Des troubles psychocomportementaux sont manifestés par Mme D., notamment lors des soins d’hygiène, où elle démontre une attitude...
SARAH MULLER Psychologue clinicienne et de la santé, psychothérapeute exerçant en Ehpad et en libéral, où elle reçoit essentiellement des adultes en consultation individuelle. Formée à l’université de Lorraine, à Metz, elle a obtenu un master en psychologie clinique « Dimensions traumatiques et psychothérapies », complété par un DIU « Hypnose thérapeutique : santé, maladie versus psychologique et thérapie brève ».
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Dans ce n°66, nous verrons comment aider les personnes qui nous consultent à sortir des effets des histoires dissociatives dans lesquels elles sont enfermées. Le questionnement développé dans les thérapies brèves est une aide essentielle pour rendre possible l’activation des processus de réassociation.
Edito:
. Julien Betbèze : Approche stratégique et acceptation de la solitude
. Alain Vallée développe un exemple clinique nous montrant comment la conversation d’engagement ouvre de nouvelles possibilités d’agir chez un sujet présentant un diabète de type 2 et qui ne parvenait pas jusque-là, malgré les risques somatiques, à modifier sa relation à l’alimentation.
. Spécialiste mondialement connu de l’approche stratégique, Giorgio Nardone explique l’importance de différencier trois manifestations différentes de la solitude. Il enseigne comment apprendre à être avec les autres, et le chemin vers l’acceptation de la solitude, acceptation nécessaire pour faire vivre une relation.
. Véronique Cohier-Rahban poursuit sa réflexion sur la prise en charge des enfants soumis aux effets des violences intergénérationnelles. Elle nous montre comment Armel, enfermé dans le rôle « d’enfant problème », va se libérer de son rôle sacrificiel par le questionnement circulaire et la mise en place de relations de coopération dans la famille.
A travers le cas de Marthe, enfermée dans son monde de détresse et d’inquiétude, Arnaud Zeman décrit comment le thérapeute, en se mettant en lien avec ses ressources relationnelles, accueille ses ressentis corporels et ses affects pour construire un accordage avec un sujet prisonnier de son vécu dissociatif. Cet accordage est le premier pas vers un nouveau positionnement rendant possible le changement.
Le dossier thématique sur le lien thérapeutique se poursuit avec Karine Ficini qui nous fait part de l’histoire de Daniel, orphelin à l’âge de 4 ans, et dont les étapes de vie sont marquées par le pouvoir du monde abandonnique. Avec l’utilisation des mouvements alternatifs et de questions centrées sur la traduction corporelle de la confiance en soi, elle tisse un nouveau lien humain qui génère une nouvelle action signifiante pour le sujet.
Bertrand Hénot utilise le questionnement narratif et solutionniste pour aider Louis à modifier son regard sur les services sociaux et sur lui-même, afin de réinvestir son rôle de père et se mettre en chemin pour retrouver la garde de son fils.
. Dans l’espace « Douleur Douceur », Gérard Ostermann nous présente trois articles sur l’apport de l’hypnose en gériatrie.
Sarah Muller, dans son article sur les conversations hypnotiques en psychogériatrie, nous raconte comment Mme D. qui présente un diagnostic de Démence fronto-temporal, intègre l’Ehpad à 92 ans, suite à une chute, et va bénéficier d’un accompagnement complet à la toilette, effectuée au lit.
Véronique Treussier-Ravaud expose le cas clinique de Mme L.F. patiente âgée qui souffre de troubles cognitifs sévères. Une séance d’hypnose pendant sa toilette, avec ancrage musical et techniques apaisantes, a pour bout de la réinstaller dans un état de bien-être.
. Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, nous explique comment elle utilise l’hypnose dans sa pratique quotidienne auprès des personnes âgées.
Dans la chronique « Bonjour et après », vous trouverez les premières consultations d’Elisabeth qui noie son ennui dans l’alcool. Sophie Cohen utilise le questionnement stratégique et l’hypnose pour aider la patiente à quitter ses tentatives de solution.
Enfin, Nicolas D’Inca nous livre un article passionnant sur le chamanisme et les animaux de pouvoir pour retrouver les liens au monde vivant.
Crédit photo Jean-Michel HERIN
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