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Inceste et guérissage

MARIE CAIAZZO
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DEVENIR UN « GUERRIER SAGE »
Comment l’hypnose en thérapie a toute sa place dans le « concept de guérissage » pour se relever d’un choc traumatique et revenir à la vie. Illustration avec le cas d’Annabelle, victime d’inceste durant son enfance.

Immédiatement après un traumatisme quel qu’il soit, psychique ou physique, le corps cherche à préserver son intégrité et organise sa survie. L’homéostasie, garante de son bon fonctionnement tant physiologique que psychologique, cherche à se rééquilibrer.

Des trésors de mécanismes physiologiques vont alors permettre au corps de survivre, que ce soient les décharges d’hormones, de neurotransmetteurs, d’informations, de mécanismes de défenses psychiques, tout le corps se mobilise car il n’est qu’un et il cherche à le rester !
Dans cette phase immédiate appelée également phase aiguë, l’individu qui subit un choc traumatique enclenche le mode survie avec comme chef de file l’hypervigilance. Il n’est pas question ici de détailler les mécanismes physiologiques liés à la survie car ils sont trop variés et spécifiques au type du traumatisme vécu pour faire l’objet d’un article qui se veut généraliste. En revanche, il est communément admis de dire que ces mécanismes ont pour point commun d’accélérer les mécanismes physiologiques. Peter Levine nous dit dans son livre Réveiller le tigre (Inter- Editions) : « L’hyperactivation est la réponse du système nerveux à la menace, que cette menace soit interne, externe, réelle ou imaginaire. » Ces mécanismes font partie de nous depuis toujours et nous nous sommes conçus pour les traverser.

Cette première phase du traumatisme va être caractérisée également par le figement. Le figement se caractérise par cette sidération qui suit l’annonce et qui nous place dans une position hors du temps et de l’espace, « comme figé ». Cette expérience dissociative nous protège en réalité de la peur de la mort lorsque l’événement vécu est d’une telle intensité que notre survie peut être engagée. Peter Levine nous dit encore : « La durée de la réponse de figement chez les animaux est normalement limitée ; ils y entrent et en sortent aussitôt. Chez l’être humain, la réponse de figement ne se résout pas facilement parce que la peur, voire la terreur, bloquent l’immense quantité d’énergie enfermée dans le système nerveux. Un cycle pathologique de peur et de figement s’installe alors, empêchant l’achèvement naturel de la réponse. Cette réponse inachevée entraîne ensuite les symptômes traumatiques. D’abord à l’origine de la réponse de figement, la rage et la terreur vont con tribuer à maintenir son activation – même s’il n’y a plus de menace réelle. » Cette phase de dissociation peut perdurer à l’intérieur de l’individu traumatisé et exister dans une « partie de lui ». L’individu va donc pouvoir être résilient tout en maintenant une partie de sa psychée dissociée et comme bloquée dans le traumatisme. Dans les phases qui vont suivre l’évolution d’un traumatisme, la phase de la résilience va être fondamentale. En effet, la résilience se caractérise par cette capacité à se relever après un choc. Boris Cyrulnik a très bien décrit ce mécanisme qui con siste à « l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité ».


Mais force est de constater qu’elle n’est qu’une étape car il ne suffit pas de se relever et de se remettre à vivre pour être bien avec soi et avec son histoire. Et tant que l’événement traumatique nous maintient dans la peur, alors c’est qu’il n’est pas dépassé, transformé. Cet événement sera dépassé dès lors qu’il deviendra un enseignement sur lequel s’appuyer pour venir renforcer la force de croire en soi et en l’avenir. Un traumatisme se guérit par étape et l’étape de la résilience n’est qu’une étape. Et je cite encore ici Peter Levine : « La résolution d’une réaction traumatique fait bien plus qu’éliminer l’éventualité que les symptômes émergent dans les années qui suivent. Elle renforce l’aptitude à faire face à la menace. Elle procure surtout une résistance naturelle au stress. Un système nerveux habitué à entrer puis à ressortir d’un état de stress est bien plus résilient que s’il le retenait, voire l’additionnait des stress antérieurs. »Alors comment faire pour que la résilience si souvent mise en avant ne soit qu’une étape indispensable mais fondamentale, mais néanmoins qu’une étape.
Dans le livre Good morning la vie, j’ai défini le « Concept de Guérissage » comme cette transformation nécessaire pour passer de la survie à la vie, pour passer de la résilience à la guérison, de la peur à la confiance, du guerrier combattant qui se bat pour survivre, au guerrier sage qui n’a plus peur.

Tout d’abord, ce concept je l’ai éprouvé au travers de ma propre expérience individuelle mais également par l’expérience de l’accompagnement de patients en souffrance depuis plus de vingt années de pratiques. Il consiste à la mise en perspective de quatre étapes indispensables à l’émergence du guérissage.
La première étape consiste à nommer ce qui nous est arrivé et cette étape, nous le savons, peut être retardée par les amnésies traumatiques. Les éléments en lien avec cette étape sont l’émergence de deux qualités en thérapies que sont le courage et la curiosité.
La seconde étape consiste à accepter que ce soit arrivé. Cette étape est souvent longue et complexe car elle demande à intégrer toutes les conséquences de l’événement traumatique dans notre vie et les éléments en lien avec cette étape sont la nécessité de développer l’humour et le respect de soi au travers de la thérapie.
La troisième étape consiste à s’approprier et à transformer le traumatisme pour le faire sien. Les qualités développées dans cette étape sont l’authenticité et l’imagination. Ces éléments sont travaillés comme thématique d’élaboration en thérapie. Enfin la quatrième étape, je l’ai appelée « renaissance ». Le patient installe la confiance et l’amour de la vie.
Ces étapes du guérissage se travaillent en thérapie. Le patient résilient est souvent un individu qui se bat, qui combat dans la vie parfois en colère contre les autres, parfois en colère contre le monde, contre lui-même. Le guérissage lui propose de devenir un guerrier sage qui dépose les armes et enregistre les enseignements de ses traumatismes passés comme des sources de sagesse. Le fait de travailler avec des thèmes de séances aide le patient à cheminer sur une route balisée.


L’EXEMPLE D’ANNABELLE


Pour plus de clarté, je vais vous présenter le suivi d’une patiente. Annabelle a 48 ans, elle est mariée et elle est mère de deux garçons de 11 ans et 9 ans. Elle est kinésithérapeute en libéral. Elle est suivie en psychothérapie depuis de nombreuses années mais elle n’a jamais pratiqué de séances d’hypnose. Ces différentes thérapies l’ont aidée à avancer selon ses propres termes et le soutien des antidépresseurs et des anxiolytiques lui ont également permis de franchir des étapes. Lorsqu’elle arrive en consultation, elle a envie de « tester autre chose » que la thérapie analytique classique car elle se sent dans une impasse. Avec le soutien de sa psychothérapeute, elle a envie de compléter sa prise en charge et me demande un suivi.

Assez rapidement, dans l’anamnèse lors de la première séance, Annabelle me parle de ce qu’elle a vécu lorsqu’elle était enfant et me dit que ces traumatismes répétés ont été de nombreuses fois évoqués en thérapie. Elle a subi l’inceste de son père et sa mère était parfaitement au courant de cette situation. Devenue adulte, lorsqu’elle a voulu en parler avec sa mère, sa mère lui a demandé de se taire, et aujourd’hui elle con - tinue de côtoyer ses parents et de les voir lors des traditionnelles fêtes de famille.
Annabelle est une femme forte qui accompagne ses patients avec une grande bienveillance et sa demande lors de cette consultation est qu’elle éprouve de plus en plus de difficulté à les toucher, ce qui pose problème compte tenu du fait qu’elle est kinésithérapeute. Sa demande est donc assez « pratico-pratique » comme j’appelle ces demandes, c’est-à-dire « merci d’agir sur le symptôme ». Ce qui me semble assez flagrant lorsqu’Annabelle me parle, c’est ce grand détachement assez neutre dans son vécu lorsqu’elle évoque son passé. On dirait qu’elle n’a jamais « nommé » ce qui lui était arrivé en tenant compte de tout ce que cela implique comme ressentis corporels. Elle se décrit comme une femme « très nulle et dépressive » et comme une mère insensible qui ne sait pas si elle aime ses garçons. L’anamnèse passée, nous nous installons pour une première séance et compte tenu de son passé thérapeutique, je vais lui proposer une première séance de guérissage.

NOMME-LE


Je propose à Annabelle de s’installer confortablement sur le fauteuil et la séance débute par une induction basée de façon assez classique sur l’observation des mouvements de la respiration mais également sur les perceptions de son corps dans cet espace et dans ce temps. Puis... « En venant me voir aujourd’hui, vous faites preuve d’un vrai courage. En effet, vous pourriez continuer à faire “comme si” avec vos patients, mais vous n’avez plus envie de vous forcer et de vous obliger à faire... à les toucher avec ce dégoût... Vous avez envie de vous libérer de ces sensations, de ces perceptions, de ces ressentis... Et ça, c’est un vrai courage d’avoir envie d’aller mieux et de ne plus faire comme si... Un vrai courage... Et vous, vous pouvez prendre quelques instants pour simplement accueillir ces mots, ces silences, cette pause... Comme disait Nelson Mandela : “Le courage n’est pas l’absence de peur mais la capacité de la vaincre... Alors c’est un grand courage...” Peut-être que vous aussi vous connaissez une personne très courageuse et forte, une personne célèbre ou inconnue, une personne de votre entourage, de votre quotidien, une personne du passé, un personnage de fiction, un héros ou une héroïne de roman ou de film... Laissez venir à vous son image et sa présence... Je vous propose alors de vous poser cette question simple : qu’est-ce qui dans cette personne me fait penser au courage, quelles sont ses qualités, ses forces ?... Annabelle, si ces qualités résonnent si fort en vous, c’est parce qu’elles sont cachées en vous, à l’intérieur de vous, et quelles ne demandent qu’à émerger... Laissez ce personnage vous ouvrir la porte qui mène jusqu’à vous et à vos trésors enfouis. Permettez vous d’accueillir ce qui vient... Le courage vient à vous sous la forme d’un cadeau, d’un symbole, d’une phrase, d’une couleur, d’un animal... Hier est derrière, demain est un mystère, aujourd’hui est un cadeau, c’est pour cela qu’on le nomme le présent... Un présent... C’est curieux, n’est-ce pas ? C’est curieux ce que l’inconscient nous offre, la manière dont il nous parle. C’est cette partie de nous que moi j’appelle l’inconscient mais que vous appelez de bien d’autres manières, qui vous offre ces images, ces sensations, ces perceptions, ce présent en lien avec vos besoins et vos demandes... Permettez vous de l’accueillir et de le ressentir en vous... »


Je propose ensuite tranquillement à Annabelle de revenir doucement, de se reconnecter à son souffle, à percevoir à nouveau son rythme respiratoire, sa fréquence et sa profondeur. Je l’invite à se reconnecter à l’instant présent à son rythme et de revenir doucement dans l’ici et maintenant en pleine capacité de ses moyens, parfaitement détendue et relâchée.
Annabelle a laissé des larmes couler le long de ses joues lors de cette séance et nous prenons le temps d’échanger sur ce qu’elle vient de vivre. Elle me dit qu’elle se sent détendue et que « ça lui a fait du bien ». Elle me dit avoir vu Simone Veil devant elle, et que cette image l’a bouleversée. C’est une femme qu’elle admire « pour son courage et son engagement, sa force et sa détermination à défendre le droit des femmes à disposer de leur corps, notamment face aux hommes », selon ses propres termes. Annabelle m’indique que Simone Veil lui est apparue portant un tailleur et les cheveux noués en chignon. Et alors qu’Annabelle se relève du fauteuil, elle se noue les cheveux en chignon et se rassoit face à moi. Nous reprenons rendezvous un mois plus tard et entre-temps je lui propose un exercice de pleine con - science que l’on appelle le « body scan » et qu’elle peut pratiquer cet exercice quotidiennement si elle le souhaite comme ça... par curiosité, lui dis-je.
ACCEPTE-LE
Lors du second rendez-vous, Annabelle m’indique qu’elle va bien et qu’elle dort mieux. Je lui demande comment se sont passés les « body scan » et si elle a eu envie de les pratiquer. Elle m’indique qu’elle a fait les « body scan » tous les jours parce qu’elle avait envie de tester l’expérience jusqu’au bout... Je comprends dans nos échanges qu’elle est prête à accepter ce qui est, un peu comme en méditation où l’expérience de la pleine conscience nous invite à accepter l’expérience telle qu’elle est vécue. Rapidement nous nous installons pour cette deuxième séance, et après une induction du même type que lors de la première séance, je l’invite à se détendre de plus en plus profondément. Puis...

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MARIE CAIAZZO Psychothérapeute, psychomotricienne, hypnothérapeute et kinésithérapeute. Formée au traitement du psychotraumatisme en hypnose. Exerce en libéral au cabinet Hypnopedia à Marseille. Instructrice de méditation de pleine conscience (MBCT). Chargée de cours à l’ISRP sur les méthodes de relaxation, Ecole de psychomotricité de Marseille.


 

Revue Hypnose Thérapies Brèves n 63Commander la Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°63

N°63 : Novembre, Décembre 2021, Janvier 2022

Illustrations © Eishin Yoza

- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef

- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.

- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.

- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.

- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).

- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.

L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.

- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.

- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.

- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.

- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.

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