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Thérapie familiale et hypnose.

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 62
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L’expérience de l’hypnose vécue collectivement pour rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels.

Psychologue et thérapeute familial à l’Institut départemental de Thérapie familiale (IDTF) au Mans, je suis, avec mes collègues, souvent confronté à des situations de blocages relationnels importants qui se traduisent par des mentalisations excessives et des interprétations agressives. L’utilisation de l’hypnose dans ces contextes permet de réintroduire le corps dans la relation et créer un espace de sécurité pour travailler de manière plus souple. L’accordage relationnel rétabli par le biais de l’expérience hypnotique vécue collectivement réassure à chacun une possibilité de vivre sa liberté tout en étant dans le lien ici et maintenant.

HYPNOSE DANS UN CONTEXTE D’ADDICTION

Famille L. : « un rhinocéros en colère » (addiction du père) Madame a téléphoné à l’IDTF car depuis sa séparation d’avec le père des enfants, elle n’arrive pas à se faire entendre par ses trois garçons. Lorsqu’elle leur demande de participer aux tâches de la maison, il faut qu’elle hurle et crie pour qu’ils réagissent, cela l’épuise car à chaque fois les relations s’enveniment jusqu’à ce que les insultes fusent. Chaque soir la maison est sous tension. Les enfants aussi en ont marre d’entendre leur mère crier sur eux tous les soirs. Ils disent être aussi en colère et veulent que ça change. Chacun se réfugie dans sa chambre et les deux aînés s’enferment dans les jeux vidéo pendant plusieurs heures. Ils se sentent agressés lorsqu’on leur demande d’arrêter de jouer d’autant que leur mère entre sans frapper pour crier.

Le père des enfants est absent de la séance comme il est absent de la communication avec la mère pour prendre des décisions et répondre aux besoins des enfants. Il connaît depuis des années des troubles liés à l’addiction à l’alcool. Madame dit avoir toujours tout porté à la maison. Aujourd’hui elle en a assez et veut que ses enfants l’entendent. Elle a peur que le schéma relationnel avec leur père se répète. Elle aimerait une meilleure coopération à la maison.

Après avoir invité chacun à se présenter, je m’adresse à Bastien, l’aîné de la fratrie :

- Thérapeute :
« Dis donc Bastien, en même temps que tu es présent avec moi et ta famille dans cette salle, accepteraistu d’être attentif à ce dont tu aurais besoin pour bien entendre ?
- Bastien :
Etre écouté.
- Th. :
Imaginons que tu prends le temps nécessaire pour identifier dans ton corps à quel endroit il te signifiera que tu as bien été écouté ? Il prend un temps, ferme les yeux et place sa main sur son thorax...
- Bastien :
Là, au niveau de mes poumons.
- Th. :
OK... et comment se sentiront tes poumons ?
- Bastien :
Légers et calmes. En même temps que je suis attentif à la respiration de Bastien, j’observe en vision périphérique la respiration de Léo, son frère cadet assis juste à côté...
- Th. :
Légers et calmes... si tu te sens écouté tes poumons seront légers et calmes... comment se sentent-ils maintenant ?
- Bastien :
Légers et calmes.
- Th. :
Très bien, prends le temps d’apprécier ce moment pour toi pendant que je prends un temps avec Léo. Je me tourne vers Léo, assis juste à côté de Bastien, je suis attentif à sa respiration qui est ample et régulière...
- Th. :
Et pour toi Léo, de quoi auraistu besoin pour bien entendre ?
- Léo : Qu’on ne crie pas.
- Th. :
OK... qu’on ne crie pas. Quel endroit de ton corps te signifiera qu’on ne crie pas ? Léo prend un temps et montre ses oreilles avec ses deux index...
- Th. :
Très bien... et que te feront ressentir tes oreilles ?
- Léo : Rien... du silence.

En vision périphérique j’observe la respiration apaisée de Jules le plus jeune frère et la mère...
- Th. :
Très bien… et le silence ça peut permettre quoi pour toi ?
- Léo : D’entendre.
- Th. :
Merci Léo, et si tu es OK avec cela, prends ce temps de silence que tes oreilles t’offrent... Je me tourne vers ma droite et demande à Jules :
- Th. :
Et pour toi, Jules, de quoi aurais tu besoin pour bien entendre ? Jules prend un temps, il regarde sa mère et ses frères, il semble gêné...
- Jules :
De pouvoir parler...
- Th. :
Merci Jules... où dans ton corps tu sentirais que tu peux parler ? Il montre sa gorge avec son doigt...
- Th. :
Très bien Jules, que ta gorge te ferait ressentir si elle pouvait parler ? Jules prend un temps, il baisse la tête puis la relève et déglutit...
- Jules :
Ça serait desserré... mieux.
- Th. :
Et là ?
- Jules :
Mieux. J’observe la mère qui est attentive à Jules et sa respiration est calme et profonde...
- Th. :
Bon... merci Jules. Il sourit, regarde ses frères et se tourne vers sa mère...
- Th. :
Bien... Maryse... Elle m’interrompt...
- Maryse :
Moi, j’aurais besoin de moins porter !
- Th. :
Très bien... Vous Maryse, pour bien entendre, vous auriez besoin de moins porter... Hum... et à quel endroit de votre corps vous sauriez que vous portez moins ?
- Maryse :
Le dos, j’ai des problèmes de dos... c’est douloureux. Elle me montre ses épaules qu’elle masse...
- Th. :
Donc votre dos est douloureux quand vous portez trop... et comment ce serait au niveau de votre dos si vous portiez moins ? Elle se redresse...
- Maryse :
Plus léger, moins tendu.
- Th. :
Plus léger et moins tendu... comme ça, là ? Elle fait une rotation des épaules...
- Maryse :
Oui, comme ça. Je regarde chacun des membres de la famille...
- Th. :
Bravo Maryse, et merci de vous permettre cela... Imaginons maintenant que la colère que vous m’avez décrite et qui s’est installée à la maison, elle se retrouvait représentée en animal ou en objet... que serait-ce ? Maryse prend la parole...
- Maryse :
Un rhinocéros en colère. Les enfants se mettent à rire...
- Bastien : Je vois, la sculpture qui est sur le meuble dans le couloir !
- Léo : Ah, ouais ! super, mais il est pas en colère !
- Maryse :
Ben moi je l ’ imagine en colère...
- Th. :
Qu’est-ce qui peut bien le mettre en colère le rhinocéros ? Je ne connais pas les raisons qui pourraient mettre un rhinocéros en colère...
- Bastien : Le danger.
- Th. :
Ah ? Le danger ?
- Maryse :
Oui, peut-être que ses petits peuvent être en danger, un prédateur peut menacer...
- Th. :
La colère pourrait faire reculer la menace ? Elle protègerait, alors ?...
- Léo : Oui, c’est son territoire qui est menacé, et sa famille...
- Th. :
Et ses petits... où sont-ils ?
- Jules :
Ils jouent ensemble, ils se doutent de rien...
- Maryse :
Il vaut mieux, il est là pour ça...
- Th. :
Il est seul sur ce territoire ?
- Bastien : Non, il y a d’autres familles.
- Th. :
Le rhinocéros n’est donc pas seul...
- Léo : Ils sont plusieurs adultes à défendre le territoire, ils protègent les enfants, ils peuvent aussi faire n’importe quoi...
- Maryse :
Oui, ils peuvent se mettre en danger... les prédateurs ne sont pas loin...
- Bastien : Ils peuvent être en colère contre les enfants... ils ont peur pour eux...
- Th. :
Derrière la colère, il pourrait y avoir de la peur ?


- Toute la famille ensemble : C’est clair !

Dimitri TESSIER
- Th. :
Bon... le rhinocéros montre sa colère pour protéger ses petits... comment ses petits pourraient le rassurer ?
- Bastien :En ne faisant pas de conneries.
- Léo : En écoutant les consignes de sécurité.
- Jules :
Faut qu’ils se parlent.
- Maryse :
En leur faisant confiance... mais vigilant.
- Th. :
Bon... les rhinocéros vivent en troupeau... ils protègent leur territoire et sont vigilants aux petits... la peur est un signal de danger et la colère protège... Estce entendable ?


Tout le monde acquiesce...


- Th. :
Qu’est-ce que vous auriez envie de garder de ce rhinocéros ?
- Maryse :
De ne pas entrer dans leur chambre et n’appeler que trois fois...
- Léo : D’être plus à l’écoute.
- Bastien : Moi aussi, d’être attentif aux appels.
- Jules :
De dire plus quand ça me plaît pas. Je prends un temps...
- Th. :
Bon... très bien et merci à vous tous... vivons cela et on en reparlera ensemble.

Fin de séance.

Je revois la famille un mois après, Maryse m’apprend que globalement elle n’a plus crié comme auparavant et qu’il lui reste encore des choses à changer, notamment lorsqu’elle entre sans frapper dans la chambre de ses fils adolescents pour les lever. En disant cette phrase, elle se rend compte qu’elle a une partie de la réponse... les garçons rient de bon coeur et en profitent pour souligner le fait qu’ils ont des réveils qui fonctionnent très bien... Maryse rit à son tour et les remercie de cette jolie suggestion.

HYPNOSE DANS UN CONTEXTE DE PATHOLOGIE SOMATIQUE
Couple C. : « accordage » (algodystrophie) Béatrice et Marc ont fait appel à l’IDTF car leur couple conjugal et parental est en grande difficulté, ils ne partagent plus d’intimité depuis de nombreuses années et sont en conflit ouvert lorsqu’il s’agit de s’accorder sur l’éducation de Cassandra, leur deuxième enfant, qui a 17 ans. Marc est enseignant et Béatrice est cadre dans une entreprise privée. J’apprends aussi que Béatrice souffre d’algodystrophie, elle peut avoir des moments de grande fatigue liée à la souffrance de son corps. Elle porte des attelles aux chevilles et a du mal à marcher sans béquilles. Elle se sent irritable et les comportements hautains et disqualifiants, dit-elle, de son mari la mettent hors d’elle. Marc peut désavouer Béatrice devant Cassandra. Monsieur, quant à lui, se plaint des disqualifications de sa femme lorsqu’il prend des décisions pour leur fille, et sent qu’il ne peut plus s’exprimer à table lorsqu’un sujet banal fait l’objet de discussion. Madame trouve qu’il cherche à polariser l’attention et intellectualise tout. Elle se sent nulle et inconsistante. Je les ai vus pendant cinq séances dont deux pendant le confinement par téléphone. Cette séance est donc la sixième, après confinement, nous portons des masques. Le couple est assis à grande distance l’un de l’autre. Je sens une tension importante entre eux deux, je m’attends à ce qu’ils « dégainent » et déversent chacun les bonnes raisons qu’ils ont de se plaindre du comportement de l’autre. Je me demande bien ce que je vais pouvoir leur proposer car j’ai déjà tenté de les amener à ce que chacun dise ses besoins pour se sentir entendu, à connoter positivement leur engagement qui montre le lien important qui les relie toujours, les ententes qu’ils ont réussi à trouver pour Ulysse, leur fils aîné... et ce malgré tout ce qu’ils se reprochent aujourd’hui.

JE TENTE...
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DIMITRI TESSIER
Psychologue clinicien, intervenant systémique et thérapeute familial à l’Institut départemental de Thérapie familiale (IDTF) de l’EPSM de la Sarthe. Formé à l’hypnose. Superviseur dans différentes institutions éducatives, de soins et études, ainsi que dans le domaine du handicap.


Revue Hypnose Therapies Breves 62Revue Hypnose & Thérapies brèves n°62 version Papier

Illustrations : © Roberta Lo Menzo
Edito : Transe relationnelle. Julien Betbèze, rédacteur en chef



La lévitation : un catalyseur de changement. Daniel Quin. Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène. Avec les exemples de Marie, 12 ans, en échec scolaire, Lise, 35 ans, qui souffre de compulsion alimentaire, de Nadine, 22 ans qui veut perdre du poids, d’Anne, 35 ans, qui boit de la bière de façon excessive.

Conversation de désengagement : le changement par l’aversion. Alain Vallée. Exercices pratiques pour amener au désir de changement. Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance et prend peu de temps. Avec les exemples du tabagisme, de la colère…

De la métaphore à la chanson de geste. Histoire de réceptivité. Bruno Dubos. Dans le travail métaphorique tout est question de réceptivité. Le thérapeute utilise une métaphore pour « aller vers le sujet », celui-ci va-t-il la « recevoir » ? Avec l’exemple de Sylvie et sa suite traumatique d’un long parcours émaillé d’interventions chirurgicales conséquence d’une erreur médicale.

Les outils de la thérapie narrative : trouver du sens à l’insensé. Françoise Villermaux. Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans et Elio, 15 ans.

Dossier : Douleur, douceur


Edito : Gérard Ostermann

La peur des soignants face à la mort. Myriam Mercier. Confrontés à la mort de patients dans leur travail, les soignants sont-ils autorisés à laisser parler leurs peurs ? Ou doivent-ils laisser leurs émotions à la maison ?

Burn-out et doubles liens professionnels. Jérémy Cuna. Les exemples de M. H, directeur et délégué du personnel et de M. L, directeur adjoint et mari d’une salariée.

Les gestes autocentrés : phénomène non conscient de ré-association. Corinne Paillette. Croiser les mains et mouliner des pouces, pianoter avec ses doigts sur ses cuisses, se gratter la tête… autant de petits gestes à observer chez les patients.

Dossier : Thérapie familiale


Edito : Julien Betbèze. Mony Elkaïm : un thérapeute familial hors du commun

Résonance et hypnose. En hommage à Mony Elkaïm et François Roustang. Sylvie Le Pelletier Beaufond. En vignette clinique, Mme C, 40 ans, en dépression depuis des années.

Affronter l’ado tout-puissant : TOS (Thérapies Orientées Solution) et approches stratégiques. L’incroyable prise de pouvoir d’un adolescent de 15 ans sur sa famille. Sophie Tournouër

- Thérapie familiale et hypnose. Dimitri Tessier. Rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels. Les exemples de la famille L, une femme élève seules ses enfants, et du couple C en désaccord sur l’éducation de leur fille.

Rubriques

- Quiproquo. Stéfano Colombo. « Famille ». Dessin de Mohand Chérif Si Ahmed alias Muhuc
- Les champs du possible. Adrian Chaboche. Heureusement le temps passé passe par le présent.
- Culture monde. Sylvie Le Pelletier Beaufond. Les forces de l’invisible. Thérapies au Bénin.
- Les Grands entretiens. Gérard Fitoussi. Jacques-Antoine Malarewicz

- Livres en bouche: Julien Betbèze, Sophie Cohen.

 

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