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François Roustang et l’écothérapie : il suffit de se sentir vivant.

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 61
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Regard sur la dimension écologique dans l’oeuvre de François Roustang. Où il est question de l’être humain, sa prétention à dominer la nature, de la quête de nouvelles relations, d’une nouvelle force... « Si je suis ce que je sens, je ne suis que les fils qui me relient à mon environnement. » François ROUSTANG

Traiter du rapport entre l’hypnose et la conscience écologique n’a pas été aisé tant le lien est dense. Il est évident pour la plupart que nous sommes un élément d’un tout. Nous adhérons facilement à une conception holiste de notre place dans l’environnement C’est une chose de la concevoir et c’en est une autre d’en faire l’expérience. L’hypnose est résolument un moyen d’accès à cette expérience : éprouver son appartenance au vivant.

Tout au long de l’oeuvre de François Roustang, le vivant apparaît comme la substance même du phénomène de l’hypnose. Ce travail tentera de mettre en exergue la dimension écologique dans l’oeuvre de François Roustang pour éclairer la crise que nous traversons. Dans un premier temps, il y a lieu de rappeler ce qu’est un être vivant selon François Roustang : « C’est un organisme qui s’adapte à son milieu, c’est-à-dire qui a ou qui invente les comportements qui lui permettent de naître, de croître et de mourir en conformité avec ce qu’il est et ce qu’il trouve dans son environnement » (Roustang, 2003).

Il est nécessaire de clarifier dès à présent ce que la notion d’adaptation recouvre, car appliquée à l’être humain, elle peut facilement dériver vers une modalité de l’aliénation. Mais François Roustang précise : « L’adaptation du vivant à son environnement n’a rien à voir avec la soumission à l’idéologie dominante. Elle est réanimation du corps, et par là même réactualisation de son rôle dans le système actuel des rapports aux êtres et aux choses (…) Quelle que soit l’originalité de son parcours, l’être humain doit reprendre à son compte les impératifs de l’aventure qui a commencé avec l’apparition de la vie » (Roustang, 2000). Pour illustrer parfaitement la disposition de cet « être-au-monde », il aimait rappeler ce proverbe marin : « On ne commande au vent qu’en lui obéissant. » Au cours de son évolution, l’humanité réalise une « révolution cognitive » (Harari, 2015) et se projette dans le monde des conventions sociales et des représentations. Cette projection si efficace et salutaire soit-elle n’en opère pas moins un décalage. Ainsi François Roustang nous rappelle que « l’être humain, qui est bien un être vivant, se distingue radicalement des autres vivants par la possibilité de se tenir à l’écart de ses actes, de ses comportements. Il n’est pas dans un accord immédiat avec lui-même et avec ce qui l’entoure. Il peut s’en tenir à distance, il peut s’accorder des délais pour y répondre, il peut couper ses liens avec le dehors, il peut refuser ce qui s’impose à lui. Rupture qui le met à part, qui fait sa grandeur et sa prétention ; il les a chantées sur tous les airs. Mais il doit payer ces avantages au prix fort, car l’adaptation au milieu, donc aux circonstances et aux personnes, est pour lui une conquête incessante, pas une donnée » (Roustang, 2003).

Aussi, un des aspects du processus de l’hypnose, selon François Roustang, s’apparente- t-il à un état de régression au sens ontologique qui renoue avec l’intuition de l’animal ou « l’être-au-monde » du nourrisson par une suspension de la conscience réflexive. Se déploie alors une sensorialité indifférenciée dans un rapport immédiat à l’environnement. Au sein d’une cure, il s’agit d’un état transitoire dont les effets thérapeutiques consistent alors à

... d'une perception de tout à la fois, à un sentir partout à la fois...

s’orienter avec souplesse dans le flot de l’existence en acceptant d’être traversé par la multitude des sensations à un niveau quasi vibratoire en deçà de toute interprétation. Ainsi, François Roustang, citant Jean- Louis Lamande, nomme « perceptude » ce phénomène qui implique « le passage d’un type de perception à un autre, de la perception des êtres et des choses, dans la maîtrise et l’objectivité, à une perception de tout à la fois, à un sentir partout à la fois, qui emportent le sujet dans l’objet et par lesquels l’objet constitue à nouveau le sujet sans qu’il ait à savoir comment et pourquoi. S’il le savait d’un sa voir distancié et explicite, il ne pourrait pas se laisser mouvoir dans le cours des choses » (Roustang, 2003). L’hypothèse d’un effet thérapeutique repose néanmoins sur une sorte de foi en un principe organisateur et différenciateur (Roustang, 1994) auquel François Roustang réfère également le concept d’harmonie. Il s’agirait plutôt d’un pari car il en souligne les ratés et les imperfections : « Il n’y aura jamais d’harmonie en acte, il n’y aura que des accords inséparables des fausses notes, il n’y aura que des correspondances mêlées à des hiatus. Cependant, s’il n’y avait pas ce pouvoir, cette potentialité (organisatrice et différenciatrice) révélée par le nourrisson et toujours à l’oeuvre, il n’y aurait que des éléments disparates » (Roustang, 1994). Il est ainsi supposé un système ouvert formé par un ensemble d’équilibres, réel ou imaginaire, peut-être sans structure intrinsèque, mais qui assure l’unité de l’expérience et permet l’action. Dans ce système dynamique, tout tient apparemment ensemble (Roustang, 1994), tout a potentiellement sa place à un instant T, une place jamais définitive au risque de sombrer dans l’inertie. Ce système d’équilibres est en perpétuel mouvement, la circulation est une condition nécessaire à la coexistence harmonieuse qui n’est pas sans rappeler le modèle des écosystèmes évoqué au début de cet article. Aussi Jean Piaget écrivait-il : « L’équilibre du vivant, c’est un pseudoéquilibre dynamique d’une multitude de déséquilibres naturellement compensés » (Piaget, 1967). C’est une danse à laquelle participent l’hypnotisant ou le nourrisson, comme corps sentant, avec leur pouvoir d’imaginer et de configurer le monde en résonance avec les êtres et les choses : « L’imagination est ce qui nous reste de la participation à l’harmonie possible, celle du rêve et celle du premier jour (…). Tout patient qui invente l’image efficace est un artiste ou un sage » (Roustang, 1994).


La sagesse du corps est un savoir propre aux organismes vivants...


François Roustang conçoit le symptôme comme hors-sens ; il est une boursouflure, un abcès formé par les impasses des stratégies de lutte vaines et répétitives pour l’exclure comme corps étranger, une forme d’inertie morbide. Lorsqu’il propose de s’installer dans le symptôme, il ne propose pas autre chose que de l’absorber dans le flux de l’existence, de le réintégrer pour que ça circule dans la fluidité et la densité de l’harmonie présupposée : « Si, comme on l’a vu, il n’y avait pas ce pouvoir organisateur et différenciateur, c’est-à-dire cette harmonie présupposée, toute la démarche serait inefficace » (Roustang, 1994). Il est difficile de récuser le finalisme qui imprègne l’idée d’harmonie puisqu’elle confère une orientation. Plutôt que de suggérer une transcendance dans le phénomène de l’hypnose, il a semblé intéressant de revenir au lieu même de l’hypnose, et d’explorer l’hypothèse d’un processus immanent au corps. Or, un tel processus mû par la recherche d’un idéal d’équilibre dynamique a été décrit il y a longtemps avec l’homéostasie. Qu’il s’agisse d’une métaphore douteuse visant à rassurer sur l’action thérapeutique plutôt que d’une véritable valeur heuristique, le principe d’homéostasie a trouvé une résonance particulière dans l’ouvrage du physiologiste Walter Bradford Cannon, The Wisdom of the Body (La sagesse du corps). Ce titre n’aurait-il pas pu être celui d’un livre de François Roustang lui-même ? Walter Bradford Cannon y énonce en 1932 la théorie de l’homéostasie directement issue des concepts demilieu intérieur et de régulation de Claude Bernard. La sagesse du corps est un savoir propre aux organismes vivants qui « savent » comment maintenir un équilibre dynamique leur permettant de se donner les conditions optimales de leur fonctionnement. Du point de vue biologique, Cannon la décrit ainsi : « Les êtres vivants supérieurs constituent un système ouvert présentant de nombreuses relations avec l’environnement. Les modifications de l’environnement déclenchent des réactions dans le système ou l’affectent directement, aboutissant à des perturbations internes du système. De telles perturbations sont normalement maintenues dans des limites étroites parce que des ajustements automatiques, à l’intérieur du système, entrent en action et que de cette façon sont évitées des oscillations amples, les conditions internes étant maintenues à peu près constantes (...). Les réactions physiologiques coordonnées qui maintiennent la plupart des équilibres dynamiques du corps sont si complexes et si particulières aux organismes vivants qu’il a été suggéré qu’une désignation particulière soit employée pour ces réactions : celle d’homéostasie. »

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VIRGINIE COULOMBE
Psychologue clinicienne à Paris. Elle propose une approche complémentaire intégrant l’hypnose selon François Roustang à la psychothérapie inspirée de la psychanalyse. Formée à la psychanalyse à Espace Analytique, à la psychothérapie institutionnelle à la clinique de La Borde, à l’hypnose à l’AFHEM, au TAC au DIU de l’Université Paris-Saclay, et à l’HTSMA chez Mimethys. Elle participe à plusieurs groupes d’intervision et de réflexion, dont Hypnose et Psychanalyse au sein de la Fédération des ateliers de psychanalyse.


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N°61 Mai, Juin, Juillet 2021

Dossier : Ecothérapie et F. Roustang

Edito: Créativité et résonance. Julien Betbèze, rédacteur en chef

Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin

Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne

Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute


Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie

La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste

Douleur douceur
Edito. Gérard Ostermann, médecin

Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal

Syndromes d’Ehlers – Danlos. Errance du douloureux chronique. Sylvie Colombani-Claudel, médecin anesthésiste réanimateur et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste

Dossier Ecothérapie autour de François Roustang

Edito : Réintroduire un imaginaire centré sur la coopération. Julien Betbèze

François Roustang et l’écothérapie. Il suffit de se sentir vivant. Virginie Coulombe, psychologue clinicienne

Hypnose et crise écologique. La transe, renouveau anthropologique. Nicolas Bichot, psychologue clinicien

Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire

Rubriques : 

Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre

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Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.

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