Compagnon de travail et d’écriture de Milton Erickson, figure majeure de l’hypnose ericksonienne, Ernest Lawrence Rossi nous a quittés en septembre dernier à l’âge de 87 ans. Hypnothérapeutes et praticiens lui doivent entre autres « la technique des mains »...

Tous ceux parmi nous qui ont un peu ou beaucoup connu Ernest Lawrence Rossi se sentent aujourd’hui orphelins. L’homme était d’une sensibilité, d’une modestie, d’une bienveillance et d’une intelligence incroyables. C’était un chercheur sans cesse en action.

Jeune psychanalyste jungien, il rencontre Milton H. Erickson et a le coup de foudre. En ce maître de l’hypnose, il reconnaît le plus doué des jungiens qu’il connaisse ! Ayant bien saisi les attentes de son nouvel élève, Erickson ne cesse de lui parler de l’Inconscient comme de la force créative en nous. En fait, il parle à celui-ci son langage, celui que Rossi peut comprendre. A d’autres, comme Jay Haley qui ne veut pas entendre parler d’Inconscient, il n’en parle jamais. C’est à se demander s’ils ont connu le même homme, qu’ils ont pourtant rencontré pendant de nombreuses années.

Avec détermination, Rossi pousse Erickson à expliciter ses structures de communication en et hors hypnose. Toutes les modal i tés de suggestions indirectes sont ainsi mises à jour clairement et classées : doubles liens, suggestions contingentes, ouvertes, semi- ouvertes et composées, con fusion et métaphores. Au long de tous ses ouvrages avec Erickson, Rossi a un fil rouge qui court de page en page : il s’emploie à démontrer que ces techniques n’ont pas pour but de contrôler le sujet mais, en court-circuitant ses limitations conscientes, de libérer sa créativité inconsciente. Parfois, pourtant, il est choqué par certaines interventions directes du Maître. Il lui demande : « Mais là, n’êtes-vous pas autoritaire ? » Erickson lui répond en souriant : « Oui, mais c’est dit si gentiment. » Mais dès lors est né et peut être facilement enseigné ce qui est connu depuis comme « hypnose ericksonienne », une technique au service de la libération intérieure des individus.

L’oeuvre de Rossi est en effet marquée par son lieu et son époque, la Californie des années 1968-1990. Ainsi, progressivement, il commence à voir dans Erickson une « figure de transition », dit-il, entre l’ancien monde paternaliste, autoritaire, traditionnel, et le nouveau, égalitaire, permissif, en perpétuel progrès. Il explique de cette manière ce qui lui apparaît comme une contradiction qui le cabre : le même Erickson, si permissif, est capable d’interventions très directives.

Sa recherche ne s’arrête pas là. Au contraire, le travail avec Erickson constitue le tremplin pour le développement ultérieur et combien riche de sa pensée personnelle. L’hypnose, qui repose sur des mots, peut modifier immédiatement le fonctionnement du corps et il comprend que les théories psychosomatiques en vogue à l’époque sont insuffisantes à l’expliquer. Il faut un nouveau paradigme. Il nous fournit une série de travaux dont sa célèbre Psychobiologie de la guérison. Pour résumer et malheureusement caricaturer sa pensée, nous ne sommes qu’information, quel que soit le véhicule que celle-ci prend à un moment donné pour en changer au suivant, qu’il soit sémantique ou chimique. Il n’y a plus à rechercher de relations esprit-corps.

Beaucoup ont été enthousiasmés par cet exercice de haute voltige qui le fait passer de l’hypnose au gène, en passant par la biochimie et la théorie du chaos. D’autres sont restés réticents devant cette nouvelle étape de la vie intellectuelle de Rossi, y voyant un mélange de genres, un gloubi-boulga* superficiel et non justifié épistémologiquement. S’inspirant de la démarche de Rossi consistant à franchir les frontières des différents domaines scientifiques pour faire dialoguer ceux-ci, certains auteurs ont parlé aussi « d’hypnose quantique ».

Si ce terme est une métaphore intéressante, remarquons que les physiciens rappellent avec humour qu’ils ne sont probablement pas plus de dix dans le monde à comprendre vraiment la mécanique quantique.

Sa théorie « de l’apprentissage, de la mémoire et du comportement liés à l’état de conscience » a prouvé son utilité pratique : je ne peux retrouver une expérience du passé qu’en retrouvant l’état de con - science que j’avais au moment de celle-ci ; autrement, je reste amnésique. C’est ainsi que l’alcoolique reboit à la même heure que la veille, retrouvant ainsi le fil de ce qu’il avait fait la veille à la même heure : il ne boit pas pour oublier, mais pour retrouver ! Et j’aime l’audace de Rossi quand il affirme qu’il faut vingt minutes pour que le changement psychothérapeutique s’inscrive biologiquement dans l’organisme et soit ainsi durable.

Grâce à Rossi, nous sommes enfin arrivés à sortir du carcan de l’idéalisme philosophique. Celui-ci, qui courait de Descartes à Kant puis Freud, nous obligeait à penser l’âme comme juxtaposée au corps et nous mettait dans l’aporie de chercher leurs relations. Ne retrouvons-nous pas ainsi Aristote pour qui « l’âme est la forme du corps » ou bien « l’acte premier d’un corps organisé ayant la vie en puissance » ? Finalement, nous avons besoin d’une anthropologie réaliste.

Merci Monsieur Rossi, et à Dieu ! Maintenant vous avez toutes les réponses à toutes les questions de toute votre vie.


*Gâteau préféré de Casimir à base de confiture de fraise, de chocolat en poudre, de banane écrasée, de moutarde très forte, de saucisse de Toulouse tiède mais crue, de crème chantilly et d’anchois, le tout mélangé dans un saladier. Pour rappel, Casimir est le gentil dinosaure de la série télévisée L’Île aux enfants de la fin des années 1970. S’il était passionné de son gâteau, il le déconseillait cependant aux petits enfants. D’après lui, seul un dinosaure pouvait le digérer.

Dr DOMINIQUE MEGGLÉ 
Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées.
Membre titulaire de la Société médico-psychologique, cofondateur de la CFHTB, président d’honneur des Instituts Milton H. Erickson de Normandie et de Méditerranée - Toulon-Marseille. A donné une Masterclass de 2 jours au CHTIP à Paris sur l'hypnose profonde et l'hypnose directive

 Pour Commander la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°60 version Papier