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Interview du Dr Dominique MEGGLE pour la revue hypnose et thérapies brèves 73

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 73
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PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN BETBÈZE

Dans son excellent livre Les chaussettes trouées, Dominique Megglé interroge et revisite sa pratique de psychiatre à partir de l’hypnose et des thérapies brèves. Je le remercie d’avoir accepté cette interview pour nous éclairer sur le rôle fondamental de la clinique et nous transmettre sa compréhension de la psychopathologie grâce à l’hypnose.

QUEL RAPPORT ÉTABLIS-TU ENTRE LA PRATIQUE DE L’HYPNOSE PROFONDE ET LA LIBERTÉ ?



 Dominique Megglé : Je considère que l’hypnose profonde ouvre un espace de liberté. L’hypnose profonde permet de court-circuiter nos limitations conscientes (Erickson), de s’abreuver à la source, au meilleur de nous, au coeur (au sens classique du terme). L’hypnose profonde laisse tomber le parasitage extérieur, elle permet au sujet de s’affirmer, de pouvoir dire : « qu’est-ce qui est bien, qu’estce qui est le mieux, qu’est-ce que je décide ? ». Les grandes décisions, intuitions ou découvertes émergent de l’hypnose profonde et s’élaborent dans l’inconscient, comme s’élabore le choix des résistants qui s’engagent malgré le risque lié à la tyrannie. L’hypnose profonde est un des quatre degrés de la transe que l’on peut distinguer ainsi :
• la transe invisible, que nous utilisons dans les thérapies brèves, avec utilisation des mécanismes hypnotiques ;
• la transe conversationnelle, que nous utilisons également dans les thérapies brèves, ponctuée de temps en temps par une transe légère ;
• la transe légère-moyenne, où le sujet est en même temps ici et ailleurs ;
• la transe profonde, où l’ailleurs est vraiment en lui-même.

L’hypnose profonde n’existe que si le thérapeute s’oublie lui-même comme le fait le patient, à ce moment-là les deux insconscients sont ouverts, il y a une communication d’inconscient à inconscient, c’est cela qui favorise les grandes découvertes, les créations, les conversions. Comme dit Dom Paul Delatte : « la personne la plus inconnue pour nous-même c’est nous-même », c’est dans cet endroit que passe la vie de la grâce.

 Si je comprends bien, l’esprit conscient est pris dans des représentations sociales ou idéologiques qui limitent sa perception et nous coupent des expériences vivantes ?

 Oui, c’est le tyran radoteur de la réglementation là où l’authentique pensée pourrait jaillir. J’ai mis longtemps à comprendre la phrase d’Erickson : « faites confiance à votre inconscient », car on nous disait que l’insconscience était l’analogique et l’imaginaire, et l’esprit conscient la non-contradiction, comme si l’esprit conscient était plus rationnel que l’inconscient. Or, si on réfléchit le soir à un problème, on se couche et en se réveillant le matin, c’est très clair dans la tête et nous pouvons prendre une décision évidente. Dans l’inconscient, il n’y a pas que de l’imaginaire mais aussi une authentique pensée inconsciente parfaitement rationnelle. Le travail analogique n’est que la première partie du travail de l’inconscient, c’est comme une recette de cuisine, on peut sortir tous les ingrédients, mais l’élaboration de la recette est très logique.


 Quel est le lien entre la psychothérapie, la question des valeurs et la question du sens ? Et comment vois-tu le lien entre Frankl et Erickson ?


 La question du sens est très présente chez Frankl comme chez Erickson. Par exemple la reine des violettes africaines dont Erickson nous rapporte l’histoire : c’est une femme très déprimée, recluse chez elle, Erickson lui a rendu visite dans sa maison, et il a vu des violettes africaines parfaitement entretenues. Il lui a alors demandé d’en cultiver et d’en offrir aux gens de sa paroisse pour les baptêmes, les mariages, les enterrements, etc. C’est en donnant ainsi du sens à sa vie qu’elle est sortie de sa dépression. Le travail sur les valeurs et le sens est une spécificité de la psychothérapie humaine. Si les animaux (chiens, chats, chevaux) peuvent tous souffrir de pathologie mentale, essentiellement liée aux troubles de l’attachement, avec des tableaux de psychopathie ou de dépression, les humains souffrent aussi du mauvais usage de leur liberté. Ceci peut les amener dans la dépression, par perte du contact avec leurs valeurs, comme dans les cas de parjure, de mensonge. Frankl parle du développement de dépression noogène par perte de sens : pendant la guerre lorsqu’il était en camp de concentration, l’écriture l’a aidé à survivre, et lorsque les nazis ont saisi son manuscrit très important pour lui, pendant quelque temps son monde s’est écroulé et il a eu des idées suicidaires. Puis il s’est dit : « est-ce que ma vie est réduite à ce document ? ». Il a répondu par la négative et il a réécrit ce texte.


A propos de l’humour et du rire, pourquoi leur utilisation est-elle si importante pour toi en thérapie ?

Parce que le carburant de la névrose, c’est le raisonnement, donc il faut le faire chuter. Comment ? Avec des paradoxes, et de l’humour (la chute de l’histoire). Une thérapie réussie est une thérapie où l’humour est présent. L’humour n’a pas simplement pour fonction de rendre les choses plus agréables, le névrosé est un radoteur, il n’est pas marrant, il est pris par l’esprit de sérieux, c’est une folie raisonneuse, il est malade d’autocritique perpétuelle. C’est un manège intérieur et bruyant où le névrosé se demande les causes de tout ça et comment il va s’en sortir. Il faut bloquer ce raisonnement, le faire chuter, et ensuite l’anxiété disparaît. Il s’agit de la mise en échec de la logique, de la chute de l’histoire qui crée de l’inattendu. Par exemple chez Molière dans Tartuffe, c’est une comédie mais en réalité le sujet est tragique. Au début, il y a un type névrosé qui met toute sa famille dans une situation terrible. Il y a le feu à bord, la catastrophe arrive. Et on a Dorine, la servante. Elle monte des stratagèmes en cuisine, en s’assurant de complicités dans la famille, pour déjouer la névrose d’Orgon, le maître de maison. Ce sont ces stratagèmes qui sont drôles et permettent de faire de la pièce une comédie. Dorine s’arrange pour qu’Orgon se cache sous une table et entende Tartuffe (le rival idéalisé) faire la cour à sa femme. Orgon c’est l’esprit conscient ; la cuisine où se font les choses vraiment utiles, intelligentes et importantes c’est l’esprit inconscient, c’est le rôle du thérapeute et c’est Dorine. Comme elle, le thérapeute monte des ruses pour faire échouer des projets névrotiques et c’est ça qui est drôle. De même, on peut demander à une personne de provoquer délibérément des crises de boulimie afin d’obtenir les informations manquantes pour faire face à ce problème (prescription paradoxale).

Tu te réfères à Molière comme à un spécialiste de l’inconscient humain, considères-tu aussi Alexandre Vialatte ou Raymond Devos de la même façon ?

Oui, par exemple le sketch du thon de Devos : « Quand on se prend pour un thon, l’est-on ? par rapport à mon père Thon, on m’appelle Thon-fils, et mon père m’appelle fiston… la pire injure c’est “saumon”, et le père dit tu es encore plus sot mon fils que ton père, et le ton monte… mon pianiste se prend pour un thon, il s’appelle Henri mais il me dit appelle-moi Riton. » Il faut distinguer l’humour de la dérision, qui est quelque chose d’agressif. Dans l’humour, il s’agit de faire chuter la logique.

Dirais-tu que, dans une thérapie qui se passe bien, au bout d’un certain temps on sent que l’humour arrive, et on peut se sentir libre parce que l’humour est là ?

Oui, tout à fait. J’ai reçu il y a quelque temps une jeune femme qui était déprimée, elle se sentait coupable de tout, de ne pas savoir élever ses enfants, de ne pas savoir travailler, de ne pas s’occuper de son mari, de ne pas être à la hauteur... bref, je lui dis : « Dans tous ces domaines ?... ça fait beaucoup ! vous êtes une championne, vous ! une vraie championne… et dans TOUS les domaines ! »... Elle s’est mise à rire, voilà une façon d’intervenir avec l’humour.

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Dr Dominique Megglé
Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées, en pratique libérale depuis 1997. Cofondateur de la CFHTB, président de l’Institut Erickson Méditerranée et président d’honneur de l’Institut Erickson de Normandie. Conférencier et formateur, il est l’auteur de plusieurs livres, dont : Erickson, hypnose et psychothérapie (Retz, 2005), Les Thérapies brèves (Satas, 2011), Douze conférences (Satas, 2011), Le traumatisme mental, signes, diagnostic, traitement (Satas, 2021), Les chaussettes trouées (Satas, 2023).


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